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Rénover les centres-villes pour réparer les fractures sociales
Publié le 23 septembre 2014 par Blanchemanche
#fractruressociales
FIGARO VOX VOX SOCIETE
FIGAROVOX/TRIBUNE - Pour l'historien Pierre Vermeren, une des solutions pour atténuer les fractures relevées par Christophe Guilluy dans son livre La France périphérique pourrait être de réaménager nos centres-villes.Pierre Vermeren est professeur d'histoire contemporaine à l'université de Paris 1 et géographe
. Les analyses de Christophe Guilluy mettent en mots les réalités sociales et physiques qui émergent de 40 ans de crises françaises. Nés dans les trente Glorieuses, les baby-boomers ont vécu leur vie professionnelle au cours de ce long affaissement de la République et de l'économie françaises. S'ils en furent les acteurs, les décisions fondatrices ont relevé de la génération précédente: sortie de l'économie productive, liquidation de l'école de Ferry, économie d'endettement, financiarisation du capitalisme national, immigration familiale de masse, macrocéphalie parisienne, normalisation consumériste et culturelle par les médias etc. Il en sort une France disloquée, dont le diagnostic est établi par la nouvelle géographie. La France oubliée de l'économie et des médias, à l'écart des métropoles, constitue une contre-société qui abrite 61% de la population. Après un siècle d'exode rural, l'Insee perçoit, dès 1982, une remontée des populations rurales. Mais le phénomène, alors décrit comme un «retour à la campagne», traduit déjà l'épuration sociale entamée dans les grandes métropoles. Faute «d'ouvrier parisien» (Viens Poupoule, Maillol, 1902 ; Dans les bals populaires, Sardou, 1971), le Paris boboïsé ne sera jamais plus révolutionnaire. Porteurs de cet objectif politique, le tandem Chirac/Juppé n'avait pas anticipé que la nouvelle bourgeoisie virerait à gauche. A l'instar des autres métropoles régionales, Bordeaux poursuit depuis 1995 le même cocktail, mixte de gentrification, d'immigration (intra- et internationale), et d'étalement urbain des classes moyennes et ouvrières chassées du centre.Alors que les conséquences négatives de ce système éclatent au plan national, par un vote frontiste élevé qui bouscule la République, comment y remédier? Contre la vulgate habituelle, il faut affirmer que la France ne subit pas de crise du logement. A l'inverse de l'Allemagne, qui a capitalisé sur ses entreprises, la France, en bonne rentière, a spéculé sur l'immobilier. Un tsunami social et culturel a été orchestré en partie à cette fin: fractionnement de la famille en micro-foyers, vieillissement, croissance démographique importée, déconnexion entre parc résidentiel et activités économiques, sous investissement public hors agglomérations, hyper-congestion francilienne… Il en a résulté l'essor incontrôlé des prix de l'immobilier de 1995 à 2008. Les 10-15% de multipropriétaires ont doublé ou triplé leur capital, et la fortune immobilière de la France atteint 8 000 milliards d'euros. Les champions du BTP ont assuré leur fortune en vendant aux décideurs cette «pénurie» contre les lois de défiscalisation, et la «politique de la ville» contre la re-construction des logements collectifs des années soixante et soixante-dix, rançon de malfaçons sciemment planifiées.Il en sort une France disloquée, dont le diagnostic est établi par la nouvelle géographie. La France oubliée de l'économie et des médias, à l'écart des métropoles, constitue une contre-société qui abrite 61% de la population. La banlieue pavillonnaire des feuilletons américains est devenue son cadre de vie: ses petits pavillons, identiques d'un bout à l'autre du territoire, bordent la périphérie des vieux villages et des grandes agglomérations, loin du centre des villes. Chassées des grandes agglomérations, ces populations modestes délaissent toujours davantage l'habitat ancien des villes petites et moyennes, et des villages dépeuplés. Or ce tissu architectural historique, en cours d'abandon, de la France provinciale est constitutif de la «marque France». La ville nouvelle construite par Bouygues-Véolia-Carrefour et Mac Donald's n'est-elle pas qu'un pis-aller, faute d'ambition culturelle? N'est-il pas temps d'investir massivement dans la rénovation externe, interne et énergétique du bâti ancien en cours d'abandon, déjà détruit autour de tant de villes ? Malraux a sauvé les centres bourgs et les périmètres historiques des villes. N'est-il pas temps, dans une perspective de remigration urbaine, de préservation du patrimoine architectural et touristique, et de rapatriement d'activités productives, que les politiques s'interrogent sur le devenir du bâti en pierre? A laisser faire, la centralisation urbaine et économique sera toujours plus forte, concentration et homogénéisation étant de règle. Mais dans un monde à faible croissance, peut-on sauvegarder un cadre de vie original et structurant?Dans les vingt ans à venir, des centaines de milliers de bâtiments en pierre (maisons des XIXe et XXe siècles, bâtiments divers, églises et châteaux) seront à nouveau rasés, sécurité et spéculation obligent. Mais de quoi cette destruction sera-t-elle créatrice? On peut imaginer la France comme un espace boisé à 60 ou 70%, parsemé de clairières urbanisées, peuplées de maisons végétalisées, de bâtiments en vitre et béton à énergie positive, d'éoliennes et de trains magnétiques, autour de vastes parkings desservant diverses plateformes commerciales? Ce paysage orwélien est-il désirable? N'est-il pas temps d'investir massivement dans la rénovation externe, interne et énergétique du bâti ancien en cours d'abandon, déjà détruit autour de tant de villes? La croissance y trouverait des dents, le bâtiment des couleurs, les habitants des logements décents, et les touristes et générations futures une âme et des paysages. Ou bien faut-il réserver aux notables boboïsés des villes centres l'urbanisme de pierre dont le commun a été chassé?
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