En plaçant des capteurs précis pour saisir l’interaction concrète des citadins avec leur ville, la politique urbaine va pouvoir travailler au niveau du ressenti individuel du stress.
L’installation de capteurs sur les citadins d’une ville annonce une étape nouvelle, plus analytique, dans l’urbanisme aujourd’hui suite au mouvement des smart cities. En effet, des capteurs sensoriels divers permettent dorénavant de centraliser un nombre de données colossales, géolocalisées et dynamiques pour cerner la façon dont les citadins s’approprient les espaces urbains. C’est donc une analyse "par le bas" que propose l’équipe du chercheur Bernd Resch de l’université d’Heidelberg : toujours au stade de l’expérience de recherche, ils récupèrent des données depuis des objets connectés portés par des utilisateurs. C’est le concept du "people as sensors" qui prend la forme d’un objet connecté qui mesure systématiquement les émotions et le niveau de stress. L’observation est remise au premier plan dans cette analyse fortement empirique : les chercheurs veulent représenter une ville telle qu’elle est vécue par les citadins, avec les différents niveaux de stress des piétons d’une rue à l’autre, l’utilisation des parcs ou l’intensité des pics de stress des cyclistes.
Le Big Data du stress en ville
Les chercheurs analysent donc les comportements des citadins tels que le rend possible la captation de données biologiques. Le "device" porté par les utilisateurs – toujours au stade de l’expérience – permet de mesurer la conduction de la peau, la température du corps et les variations de la pulsion cardiaque ; pulsion qui varie selon les ressentis émotionnels. Les deux indicateurs principaux sont le temps qui sépare deux réactions de stress, et la durée moyenne de celles-ci. Les chercheurs ont pu isoler des pistes cyclables plus dangereuses que d’autres en analysant les données de stress. Ceux-ci peuvent ainsi découvrir que les pulsions cardiaques des cyclistes augmentent systématiquement sur une parcelle de la route. Ces données permettent de mieux comprendre comment les citadins vivent, les rues qu’ils évitent, les croisements stressants pour les piétons ou les cyclistes. Mais aussi, par exemple, la véritable utilité des espaces verts et des parcs, leur utilisation de façon détaillée dans le temps. Par exemple, dans un article auquel l’un des chercheurs a participé, la conclusion suivant laquelle le stress éprouvé lors de la traversée d’une rue dépendait de la qualité des trottoirs et des voitures garées sur les deux côtés de la rue.
L’implémentation des réseaux sociaux
En complément aux données "biologiques", une seconde partie des données collectées provient des données en libre accès des réseaux sociaux. Les deux chercheurs ont mis en place une intelligence artificielle récupérant les contenus postés sur les réseaux sociaux les plus utilisés. Grâce à une interprétation sémantique du contenu et à la géolocalisation fréquente des données, ces données "virtuelles" viendront valider après coup les données réelles captées depuis des utilisateurs. En effet, si les données captées depuis les corps des citadins ont l’avantage d’être plus réelles que le contenu des réseaux sociaux ; elles ont l’inconvénient d’être entièrement subjectives, donc difficilement reproductibles d’une ville à une autre et plus encore entre les pays. Il est facile d’imaginer que les capteurs permettent de "capturer" des émotions subjectives comme celle de la "sureté", avec un un degré de précision jamais encore atteint. C’est pourquoi les chercheurs défendent leur étude comme un moyen de prévention, notamment en suivant de façon dynamique la détérioration du stress ressenti au niveau local.