Rien n’est plus rageant que de lire trois très beaux livres d’affilée et de ne pas pouvoir en parler, faute de temps … mais patience!
Julian Barnes tout d’abord: «Quand tout déjà est arrivé» , «Levels of Life», livre choisi pour avoir déjà aimé «Le perroquet de Flaubert» et après l’achat en Poche de «Une fille, qui danse».
Je ne connaissais pas le sujet du livre (qui ne se dit pas roman), et comme Cuné, ayant survolé la présentation de l’éditeur et n’en ayant retenu que des histoires d’envols en ballons ou en montgolfières et de célébrités telles que Nadar et Sarah Bernhardt, je ne m’attendais pas à éprouver un si grand coup de cœur en le terminant.
Ma lecture est allée crescendo.
Au début il ne s’agissait encore que d’un intérêt souriant et quelque peu narquois, quoique parfois attendri et admiratif dans les deux premières parties, évoquant l’éternel désir que l’homme a manifesté pour ce que Barnes appelle «Le péché d’élévation» ou l’ambition de monter toujours plus haut, que ce soit dans les airs ou dans le savoir, l’art, les sciences, l’amour, au risque de retomber toujours plus bas, à moins de se contenter de rester «A hauteur d’homme» et de sombrer parmi la cohorte des amants oubliés de la divine Sarah, comme le fut Fred Burnaby, un intime du Prince de Galles, grand voyageur en contrées lointaines et exotiques.
Nous vivons à ras de terre, à hauteur d’homme, et pourtant – et par conséquent- nous aspirons à nous élever. Créatures terrestres, nous pouvons parfois nous élever jusqu’aux dieux. Certains s’élèvent au moyen de l’art; d’autres, de la religion; la plupart, de l’amour. Mais lorsqu’on s’envole, on peut aussi s’écraser. Il y a peu d’atterrissage en douceur. On peut rebondir sur le sol assez violemment pour se casser une jambe, entraîné vers quelque voie ferrée étrangère. Chaque histoire d’amour est une histoire de chagrin potentielle. Sinon sur le moment, alors plus tard. Sinon pour l’un, alors pour l’autre. Parfois pour les deux.
Alors pourquoi aspirons-nous constamment à l’amour ? Parce que l’amour est le point de rencontre entre la vérité et la magie. Vérité, comme en photographie; magie, comme en aéronautique.
Mais si la lecture des deux premières parties m’a très agréablement surprise, la dernière, «La perte de profondeur» m’a autrement touchée et émue. Cette fois le récit aborde un tout autre registre avec la biographie de l’auteur, l’amour conjugal, le deuil brutal et trop vite arrivé, la tentation du suicide, l’amertume et la colère pour les réactions des intimes, le sens de la vie et tous les grands sujets autour de la perte de l’être aimé. Mes références sur ce thème sont les immenses livres de Joan Didion et de Joyce Carol Oates dont je ne peux me séparer mais les dernières pages de Julian Barnes vont les rejoindre désormais. Son analyse à lui aussi est inoubliable par sa justesse et sa grande sensibilité.
Dans la jeunesse, le monde se divise sommairement entre ceux qui ont fait l’amour, et les autres. Plus tard, entre ceux qui ont connu l’amour, et les autres. Plus tard encore (…) , il se divise entre ceux qui ont connu le chagrin, et les autres. Ces divisions sont absolues; ce sont des tropiques que nous franchissons.
Il y a la question du chagrin opposé au deuil. On peut essayer de les différencier en disant que le deuil est un processus; mais ils se chevauchent inévitablement; (…) Le chagrin est vertical – et vertigineux- tandis que le deuil est horizontal; Le chagrin tord les tripes, coupe le souffle, freine l’irrigation sanguine du cerveau; le deuil vous emporte dans une nouvelle direction.
"Trois récits limpides. Sur l’élévation par l’art avec Nadar, par l’amour avec Sarah Bernhardt, et sur la chute, avec le deuil impossible de l’être aimé."(éditeur)
Un livre à conserver près de moi et à relire un jour!
Aimé par Cuné, Clara, …
Julian Barnes – Quand tout est déjà arrivé Traduit de l’anglais par Jean-Pierre Aoustin Titre original : Levels of Life (Mercure de France, 2014, 128 pages)
Julian Barnes vit à Londres. Auteur de quatorze romans ou recueils de nouvelles, de six essais ou récits, traduits en plus de trente langues, il a reçu en 2011 le David Cohen Prize pour l’ensemble de son oeuvre. Toujours en 2011, son roman Une fille, qui danse (Mercure de France) a été couronné par le prestigieux Man Booker Prize.