Roman rural, Joseph est le portrait d’un ouvrier agricole du Cantal, un monde que connait bien l’auteure puisque Marie-Hélène Lafon vient d’une famille d’origine paysanne de ce département. Joseph approche la soixantaine, il est solitaire depuis que sa famille a éclaté, le père décédé d’avoir trop tété la bouteille, le frère parti à la ville s’établir dans le commerce, la ferme quittée, la mère relogée dans un petit appartement, il s’est mis au service d’une ferme d’élevage de vaches laitières. Lui aussi a connu – durant un temps - la chute dans l’alcool par hérédité, à moins que ce ne soit par chagrin d’amour quand Sylvie l’a quitté pour un représentant de commerce.
L’auteure dépeint très bien la vie dans nos campagnes, des petites vies que les jeunes rejettent, attirés par les lumières de la ville et des tâches moins épuisantes que la traite aux aurores. Joseph ne parle pas beaucoup, il écoute et regarde, passant presque inaperçu dans la maison de ses patrons où il a une petite chambre, et trois fois rien d’affaires rangées dans une valise. Joseph est une ombre, une ombre qui ne passe pas mais qui reste, fidèle au poste. Dernier mohican, ou survivant d’une race en voie d’extinction.
Je me dois d’être franc, c’est gentiment ennuyeux même si c’est joliment écrit. Pour une raison toute simple, tout est trop convenu, trop « déjà lu » mille fois. Marie-Hélène Lafon écrit pour elle, couche sur le papier un monde qu’elle a connu et que je l’imagine ne pas vouloir voir disparaitre des mémoires. Son but est louable, mais moi en tant que lecteur qu’est-ce que j’en retire ? La France paysanne n’existe plus depuis longtemps et ce n’est pas en alimentant l’idée fantasmée de ce passé qui changera quoi que ce soit. De nombreux livres ont déjà été écrits sur le sujet, ils sont souvent très émouvants, comme celui-ci d’ailleurs, mais ça n’en fait qu’un de plus. Un court roman qui ne nous emmène guère loin, si ce n’est dans un cul-de-sac, comme certains chemins creux de campagne.
« Joseph savait que la patronne était fille unique et de neuf ans plus jeune que le patron, née là, dans la maison, dans la grande chambre du bas où tout le mur du fond était en boiseries claires. Joseph le voyait sans regarder quand il passait devant la fenêtre de la cour qui était ouverte chaque jour pour aérer. A force de travailler chez les autres, il avait des points de comparaison ; il pensait que cette femme et cet homme avaient fait et faisaient encore bon ménage, il le comprenait à des façons, à des détails ; la patronne, qui avait les manières et la voix sèches, n’oubliait jamais les trois sucres dans le bol pour le café du matin qu’ils prenaient, le patron et lui, avant de descendre à l’étable préparer la traite ; »