d'aprés ADIEU de Maupassant
Ah ! Je vieillis.
Ça va vite la vie !
Voici douze ans environ,
J’avais rencontré à Menton
Une jeune femme mariée. J’étais pincé
Comme je ne l’avais jamais été.
Elle me ravageait le cœur.
Je ressentais un incroyable bonheur.
Voir les cheveux de sa nuque soulevés
Par la brise me ravissait.
Ses moindres mouvements m’affolaient.
Son époux venait
La retrouver les samedis
Et repartait tôt les lundis.
Je ne lui accordais
D’ailleurs aucune importance,
Et n’avais pour lui qu’indifférence.
Comme elle était belle, elle !
Comme je l’aimais, elle !
Notre amour dura deux mois.
Puis un jour, j’ai dû la quitter.
(Une affaire d’héritage m’appelait à Angers)
J’avais le cœur brisé.
Mais sa pensée dura en moi.
Elle me possédait de loin
Comme je l’avais possédé de près.
Les années passaient. Je ne l’oubliais point.
Douze ans sont si peu de chose dans la vie !
On ne les sent guère passer !
Elles vont l’une après l’autre, les années,
Doucement et vite, lentes et pressées,
Longues et sitôt finies !
Or hier soir, j’allais diner
Chez des amis au Vésinet.
Au moment où le train partait,
Une grosse dame est montée.
Elle s’installa dans mon compartiment
Escortée de quatre enfants.
Je commençais à lire
Quand elle me lança ;
-« Pardon, n’êtes-vous pas M. de Vidame ? »
-« Mais, oui, madame. »
Elle se mit à rire :
-« Vous ne me reconnaissez pas ? »
-« Je vous connais certainement
Mais je ne retrouve pas votre nom. »
J’avais vu ce visage, mais où ? Quand ?
Elle s’exclama :
-« Julie Caron ! »
Cette grosse et commune femelle,
C’était elle !
Elle avait pondu
Quatre fois depuis que je ne l’avais vue
Je la regardais, effaré.
-« Ai-je tellement changé ?
Vous voyez, je suis devenue mère,
Rien qu’une mère.
Adieu le reste, c’est fini.
Vous avez changé, vous aussi.
Songez. Voici douze ans !
Douze ans ! »
Nous arrivions au Vésinet.
J’avais été trop bouleversé pour lui parler,
Et même pour lui dire adieu.
Quand je fus rentré,
Je me suis regardé
Dans le grand miroir
Fixé au mur de mon boudoir :
Oui, j’étais vieux.