La compagnie Lubat et tous ceux qui l’accompagnent anticipent cette mémoire collective d’un monde réinventé qui universalise l’écoute. Vérité. Quelque chose dans l’air avait cette transparence et notre goût du bonheur partagé séchait nos larmes, tant et tant que nous savions, déjà, que cette abondance au cœur de l’essentiel coulerait aussi longtemps que possible, tel un ruisseau. La Fête de l’Humanité, qui n’entretient pas le culte du patrimoine mais l’art majuscule d’être-des-vivants-ici-maintenant, n’est jamais l’étude d’un passé tôt regretté (encore que), mais celle des hommes dans leur durée, ceux qui patiemment s’attellent à leur propre dépassement… Chers lecteurs, vous l’avez compris. Les lendemains de Fêtes se prêtent volontiers aux boursouflures de style rehaussées du soupçon légitime d’en rajouter dans l’allégresse et le pathos. Non, l’esprit laudateur ne nous habite pas. Si le bloc-noteur s’arroge le droit – et pour le coup le devoir – d’user de phrases pour dire sa passion du « peuple de la Fête » et de ceux qui s’y produisent, c’est que l’heure de vérité a sonné. Car, voyez-vous, l’effort librement consenti rend libre. Nous pourrions ainsi parler de cette jeunesse flamboyante, qui ne sait pas assez qu’elle devrait encore mieux participer à l’éclat politique de ce rendez-vous populaire. Nous pourrions aussi évoquer ces débats à foison qui tissent le lien de l’intelligence. Nous pourrions bien sûr glorifier l’ardeur militante, sans laquelle rien n’arriverait jamais. Nous pourrions même, surtout, louer certains artistes qui, par leur présence, leur engagement et leur don d’eux-mêmes, nous apprennent que la culture-de-domination n’est pas LA culture et que les « faux rebelles et les vrais cocus », pour reprendre l’expression de Bernard Lubat, continuent de polluer l’espace scénique et médiatique. Admiration. Avouer au plus juste, au plus sincère, sans rien retrancher, l’émotion ressentie devant la prestation des différents artistes au stand des Amis de l’Humanité. Témoigner ce qui tient de la gratitude et néanmoins de l’évidence, cette évidence d’être « de la » famille de la culture, la vraie culture, celle qui honore le courage de la prise de parole, de l’audace de la création, de la fidélité. Ne pas taire notre admiration devant la prestation de Michel Portal, avec Bernard Lubat et Sylvain Luc. Que les autres nous pardonnent, nous ne les oublions pas, mais comment ne pas montrer presque fièrement nos yeux rougis et nos gorges nouées après semblable virtuosité? «Aux Amis de l’Huma, nous ne sommes plus dans le besoin mais uniquement dans le désir», suggère Bernard Lubat. Lui sait de quoi il parle. L’ami, le maître (nous avons toujours besoin de maîtres pour nous passer de maîtres) nous ouvre la voie et la voix depuis toujours pour penser l’insurrection culturelle. Car, affirmons-le une bonne fois pour toutes: ce que la culture tient pour sacré peut se définir comme «ce qui n’est pas à vendre». Aimé Césaire disait que «l’homme de culture doit être un inventeur d’âmes». L’âme au plus haut, en son ampleur, comme une conquête exigeante, par ceux qui enfantent la musique et les mots, joyeusement, amoureusement, dans la confrontation et l’assemblage des savoirs et des talents. La compagnie Lubat et tous ceux qui l’accompagnaient (les Perrone, Minvielle, Layat, Peyratout, Anouk Grinberg, Angélique Ionatos et tous les autres, tant d’autres) anticipent cette mémoire collective d’un monde réinventé qui universalise l’écoute. Les individus deviennent alors des citoyens «poïélitiques» et conscientisés. Indispensable, en cette époque de formatage et de norme marchande associés à toutes les activités humaines, de consumérisme, de grossièreté sponsorisée et de déculturation à tous les étages. Pour que l’humanité soit belle. Quelquefois. Souvent. La compagnie Lubat et tous ceux qui l’accompagnent anticipent
cette mémoire collective d’un monde réinventé qui universalise l’écoute. [BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 19 septembre 2014.]