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CABARET - Théâtre National - Bruxelles, le 19 septembre 2014

Publié le 19 septembre 2014 par Concerts-Review

Simon Rigot

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Il n’existe pas en Belgique francophone de tradition en matière de « Musicals » à l’américaine. Pas d’école spécifique où le chant , la danse, la comédie et la scénographie sont étudiés comme une seule et même discipline destinée à produire des performers de « musicals » capable de bouger , chantant exceptionnellement bien et dansant comme si la danse était naturelle , peu d’équipes techniques spécifiques , plus d’orchestre capable de reprendre les standards de jazz , de rock ou de variété . Après avoir vu à Broadway « Motown - The Musicals » l’année dernière on sait ce qu’est un "musical" à l’américaine en vrai et ce n’est pas sans une certaine appréhension mêlée de curiosité que l’on se rend au  Théâtre National Le Public a trouvé l’infrastructure et l’équipe technique apte à relever le défi de remonter « Cabaret » .

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Reprendre « Cabaret - le Musical" , c’est un peu comme pour un coverband reprendre « Smoke on the Water » ou « Hotel California » , le genre de sommet dont il est toujours risqué de s’attaquer au risque de paraître une pâle copie. D’abord personne ici aujourd'hui n’a vu l’original de 66 à Broadway ou la première reprise britannique avec Judi Dench dans le rôle de Sally Bowles en 68, par contre tout le monde a gardé en mémoire Lisa Minelli et Joel Grey dans le Film de Bob Fosse de 72 qui ne reprenait pas toutes les chansons et en ajoutait d’autres. Et c’est bien cette version cinématographique qui sert de référence à la plupart des gens. Le look de Joel Grey en Emcee (Master of the ceremonies) et Lisa Minelli en Sally Bawles fait partie de ces images fortes du 20ème siècle au même titre que la Jupe
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de Marylin se soulevant sur une bouche de métro ou le drapeau planté au sommet de Iwo Jima  .

Ne tournons pas autour du pot : cette production de « Cabaret » se montre tout à fait à la hauteur du défi relevé. N’ayant pas vu les autres je ne peux donc pas effectuer de comparaisons, mais la production tient la route de bout en bout. Jamais on a une impression de bricolage, d’amateurisme , de  demi-mesure. On a voulu faire les choses en grand et on a sorti la grosse artillerie , flonflon , costumes à paillettes et grand orchestre.

En pénétrant dans le théâtre on voit comme si on était invité dans l'arrière scène les artistes s’échauffer en peignoir, faire des vocalises, des exercices d’assouplissement, les instruments s’accordent dans une légère cacophonie qui préfigure et anticipe le chaos d’où sort l’harmonie. D’emblée on est invité dans l’intimité des artistes comme s'ils nous disaient « Ceci est un Show et vous allez en prendre plein la gueule », un peu comme quand Mohammed Ali s’échauffait en invectivant Joe Frasier .

Et puis les lumières s’éteignent , l’orchestre (impeccable direction de Pascal Charpentier) entame le célébrissime « Wilkommen » dont la petite histoire veut que c’est également la toute première chanson composée par John Kander pour le Musical en 66 , et qui nous plonge immédiatement dans le Berlin des années 30,c omme sorti d’une comédie musicale de Bertold Brecht et Kurz Weill dont la même année (1966) Jim Morisson et les Doors reprenaient le « Alabama Song »  au rythme et à l’ambiance identique (heureuse synchronie ?) . A sa première apparition Steve Beirnaert en Emcee fait oublier instantanément Joel Grey, prend le show en main , et ne le lâchera qu’après 2h30 d’une performance artistique époustouflante. Il est le maître de cérémonie, son nom est « maître de cérémonie » , préfigurant tous les MC’s de la terre au point qu’il n’a pas d’autre nom , son identité tatouée sur sa peau est Emcee , et

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à ce titre il est le symbole anonyme de toutes les futures victimes de la furie nazie , artistes libre penseur et homosexuel. Car il s’agit bien de cela . Berlin au début des années 30 est comme  un gigantesque lupanar installé au-dessus d’un volcan (la montée du Nazisme) qui va finir pas tous les engloutir - le dernier Cabaret berlinois sera rasé par les bulldozer en 1935 pour s’assurer que la pureté aryenne de la nouvelle société ne sera plus pervertie par la décadence, le stupre, la déviance et les pensées non conformes à l’idéal national socialiste. Sur un canevas si dramatique, les auteurs ont sorti une comédie qui respire l’émotion, la joie de vivre et passe en revue toutes les facettes des relations humaines : L’amour, la mélancolie, la tendresse, l’amitié, mais aussi les trahisons , la haine aveugle , l’ignorance et la résignation. L’intrigue est à la fois simple et lumineuse. Un jeune écrivain Américain (Baptiste Blampain , en jeune premier convaincant ) s’installe dans une pension de famille berlinoise fréquenté par une prostituée au physique spectaculaire (la très sexy – dans un registre wagnerien- Daphné d’Heur) il rencontre une jeune anglaise (Taïla Onraedt dont le physique rejoint à s’y méprendre Lisa Minelli ) chanteuse dans le Cabaret KitKat Club, la vieille tenancière de la pension (la lumineuse Delphine Gardin) voit son affection pour un vieux marchand Juif (le jubilatoire Guy Pion) contrariée par la montée du Nazisme représentée par le nouvel ami allemand louche de l’américain (Bruno Mulenaerts en blond aryen respirant l’ordre nouveau)  , la chanteuse tombe enceinte et avorte et on devine que tout se terminera probablement très mal pour tout ce petit monde. C’est donc à une alternance de scènes chantées et dansées éclatantes dans le Cabaret menées par Emcee accompagné d’une troupe de filles et garçons qui font autant d’étalage de leurs qualités de chanteur que de danseur et de comédiens accomplis , d’une scène plus onirique censée représenter la montée du Nazisme et de scènes parfois chantées dans un registre plus intime dans la pension de famille où se développe l’intrigue.
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Au rayon des scènes du KitKatClub certains morceaux sont devenu des classiques comme « Money » par les girls and boys , ou « Mein Herr » par Sally , d’autres moins classiques sont toujours aussi délicieux comme « Don’t tell mama » ou « Two Ladies » . Un tableau est particulièrement troublant, cela commence par un a Capella (une des Kit Kat Girls , Léonor Bailleul , y est époustouflante et comme l’écrit Didier Beclard dans l’Echo du 13 sept elle « s’acquitte de façon impressionnante d’un « Landfather » quasi a Capella ») repris dans une polyphonie digne des madrigaux italiens , lointains ancêtres des Four Freshmen , des Doubles Six , des Beach Boys ou des Swingle Singers pour enfin virer dans le chant patriotique glorifiant les bienfaits de l’ordre nouveau .
Au rayon des scènes plus intimes, les duos entre la tenancière de la pension et le marchand de fruits (la chanson « de l’Ananas » , « Mariés ») ou les solos de la tenancière (« So what » , « What would you do ») sont peut-être les plus touchants car ils ramènent toujours à ces petites choses de la vie qui fait de Cabaret autre chose que « juste un show à l’américaine ». Bien sûr il y a aussi les scènes dramatiques parlées comme dans tout bon « musical », toujours courtes et allant directement à l’essentiel , et qui jouent aussi admirablement des possibilités du plateau mobile qui sert autre chose que simplement les enchaînements de scènes. Et finalement on s’intéresse plus à cette intrigue qu’aux malheurs de Sally Bowles , aussi éclatante soit Taïla Onraedt , plus comme chanteuse que comme danseuse à mon goût . Le défi pour elle est de faire oublier Lisa Minelli , et j'avoue que c'est un défi impossible , la mission se révèle trop lourde et peut-être a-t-on tort d'attendre cela d'elle. Elle est excellente comédienne et chanteuse mais on ne remplace pas Lisa Minelli , tout simplement. Heureusement , la qualité de l'ensemble , et je pense surtout à l'époustoufflant Steve Beirnaert en Emcee, compense très largement . Difficile de passer sous silence les autres acteurs chanteurs du Kit Kat qui sont tous de vrais professionnels confirmés ou débutants , et l’orchestre de Pascal Charpentier d’une incroyable cohésion , capable de reproduire impeccablement la partition musicale .

Là ou certaines productions « low-cost » auraient tôt fait de jouer avec une bande play-back, ici l’orchestre fait partie intégrante de l’ensemble , il vit avec l’histoire sans l’écraser . Comme lors d’une précédente comédie musicale 100% belge (« Piano-Plage »vue l'année dernière au Palais 12 du Heysel) le producteur a bien raison de casser sa tirelire pour enrober le show de cette musique vivante et enjouée.
Enfin comment ne pas parler du final. Et bien je n'en parlerai pas , car je ne veux pas gâcher la surprise , mais sachez que j’en ai eu la gorge nouée et les larmes aux yeux . Chaque production depuis 1966 a pris des libertés par rapport à ce final, et celui proposé par Michel Kacelenbogen est en tout point somptueux . Et au rayon « coquin » notons , outres les tenues légères des girls du Kit Kat Club et les poses lascives de la prostituée wagnérienne , les très sexy fixes chaussettes des « boys » qui à l’entracte alimentaient les conversations de mes accompagnatrices salivantes.
Il reste remarquable que malgré une absence totale de tradition pour le musical , et d’une école dédiée (les acteurs viennent notamment de l’INSAS , de l’IAD , du Conservatoire Royal de Bruxelles et de Mons ou du Studio Herman Teirlinck ) le producteur ait pu trouver une équipe si cohérente qui semble rompue à reproduire tous les soirs avec un égal bonheur un Musical comme s'ils avaient fait çà toute leur vie. Bref le temps de 150 minutes , on se retrouve à Broadway pour un prix très démocratique. Si l'expérience vous tente , dépêchez-vous , ça joue jusqu'au premier octobre à Bruxelles avant de partir en province

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Théâtre National, du 11/09 au 1/10/2014

Maison de la culture d’Arlon, les 19 et 20/11/2014

Théâtre de Liège, du 19 au 31/12/2014

Centre culturel de l’Arrondissement de Huy, le 22/01/2015

Théâtre de Namur, du 27 au 31/01/2015

Théâtre du Passage (Neuchâtel), du 6/02 au 9/02/2015

Nuithonie-Equilibre (Fribourg), les 13 et 14/02/2015

Louvain-la-Neuve - Aula Magna du 3/03 au 8/03/2015

http://www.theatrelepublic.be/play_details.php?play_id=377&type=1


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