La pensée coloniale devait y ajouter, bien sûr, l'idée d'émancipation civilisatrice de ses victimes noires que la civilisation viendrait libérer au nom des principes républicains, justifiant ainsi les expéditions de conquête par la lutte contre le « féodalisme » local et par l'état arriéré de ses populations qu'on devait civiliser par devoir.
« La tendance la plus forte, encouragée il est vrai, par les anciennes histoires officielles dynastiques, vise à inscrire l'histoire de Madagascar à l'intérieur d'une chronologie courte. A la fin du XIXe siècle, Anthony Jully – je le rappelle – situait au XVIIe siècle les migrations qui chassèrent les Vazimba et qui sont à l'origine des andriana d'Imerina et, depuis les années 60, l'hypercritisme archéologique, sur la base de certaines données de fouilles, datait des environs du Xe siècle de l'ère chrétienne les débuts du peuplement de Madagascar.. Pendant longtemps jusqu'au XVIe siècle, les populations primitives ou archaïques qui peuplaient Madagascar n'auraient pas eu d'histoire, les changements ne commençant à intervenir qu'au XVIe siècle. D'une certaine façon, cette histoire quasi inexistante de Madagascar n'en serait donc pas une, d'autant plus que n'était pas retenue l'histoire, vécue à l'extérieur de la Grande Ile, des ancêtres des migrants qui vinrent s'y installer.
Hérité du darwinisme social, le troisième caractère de cette histoire tient à sa vision évolutionnaire.
Il assume le schéma du passage progressif de l'ancien le plus simple et primitif au moderne le plus complexe32 en utilisant le thème, récurrent dans l'ensemble du monde colonial, selon lequel les sociétés indigènes sont sans dynamisme et ne peuvent être changées que par une succession de migrations supportant une succession corrélative d'innovations. Madagascar est alors présentée comme un petit monde qui aurait connu les premières étapes de cette évolution et qui comporterait des sociétés encore figées actuellement dans un état quasi primitif à côté de sociétés plus avancées sur cet axe orienté de l'évolution; néanmoins, ces diverses avancées ne seraient pas dues à une dynamique interne, mais chaque fois à un apport étranger. Il est notable que, dans la recherche – nécessaire – des apports extérieurs, le discours s'efforce toujours de définir le lieu d'origine de ceux-ci, mais omet toujours d'essayer de comprendre comment ils furent reçus, s'ils furent acceptés ou rejetés, s'ils furent modifiés et naturalisés.
Jean-Pierre DOMENICHINI.DISCOURS COLONIAL ET IDENTITÉ MALGACHE. http://www.cresoi.fr/Discours-colonial-et-identite
Pendant longtemps, l'anthropologie physique collectionna les crânes et les squelettes, mesura les indices crâniens et les différentes proportions des corps, décrivait la couleur de la peau et la texture des cheveux. Elle voulait définir les « races », hésitant encore dans les années 60 entre une vingtaine ou une trentaine de « races (on sait désormais que ce concept n'existe pas et que tous les humains sont des homo sapiens,quoique le terme race soit toujours quotidiennement employé. Le concept d'ethnie est pareillement discuté de nos jours).
Il est à noter que les chercheurs opposés à cette thèse dont Albert Grandidier ,le plus grand anthropologue malgachisant du XIXème , tenant de la thèse austronésienne originelle, ont pourtant gardé cette distinction raciale, la renversant simplement.
Plusieurs faits anthropologiques, archéologiques, parfois renforcés par la génétique permettent désormais d'y voir plus clair au-delà de l'idéologie :
Les plus anciens restes archéologiques découverts sur l'Île Rouge datent d'il y a 1500 à 2000 ans, ce qui fait de Madagascar la dernière grande île, hormis l'antarctique, à être colonisée par les Hommes (l'installation des Hommes en Australie date d'il y a 50000 ans et celle sur le continent américain d'il y a 15000 ans environ). Parmi ces restes, on connaît dans le sud-ouest de l'île des traces d'ateliers de boucheries sur des os d'hippopotames nains et des importations de plantes de toute évidence transportées par l'Homme. Un cimetière iranien, daté à 1200 après JC, dans le nord de Madagascar atteste la venue et l'installation de marchands et marins persans.Madagascar a dû accueillir ses premiers occupants au cours des premiers siècles de l'ère chrétienne, les plateaux n'étant abordés que vers les Ve-VIIe siècles.
La population actuelle de Madagascar parle le « malgache » et partage 90% de son vocabulaire de base avec les langues austronésiennes, en particulier le Maanyan, une langue indonésienne parlée dans le sud de Bornéo.
Le malgache contient en outre des emprunts à la langue bantoue parlée dans l'Afrique de l'Est,(surtout les mots concernant l'élevage,semblable à celui existant en afrique) sans oublier des influences arabes et indiennes dans les langues et les cultures. Avant l'époque coloniale, les Malgaches utilisaient un alphabet d'origine arabe, le sorabe. Le mot "sorabe" vient de soratra, du malais et du javanais surat, "texte écrit", ce qui laisse supposer que la notion d'écriture a été introduite à Madagascar par des "Indonésiens", probablement des Javanais..
S'agissant des Bantous, les progrès de la recherche permettent aujourd'hui de dire que leur expansion vers l'est, à partir d'une région du centre nord-ouest de l'Afrique, ne les a conduits jusqu'à la mer qu'à la fin du 1er millénaire de notre ère. Ainsi ne peuvent-ils pas avoir précédé les Austronésiens à Madagascar.
Noir" ne signifie pas uniquement africain ou mélanésien : d'après les sources chinoises, l'aristocratie cham (empire de Champa )était noire :on en trouve la trace sur les bas reliefs d'Angkor.
Une grande vague migratoire eu lieue il y a environ 6 000 ans. Elle mèna des agriculteurset navigateurs parlant des langues austronésiennes à peupler l'Insulinde, soit les Philippines, la Malaisie et l'Indonésie. À partir d'Indonésie, elle conduit, il y a 3 500 à 4 000 ans, ces navigateurs austronésiens vers les îles de l'Océanie proprement dite : Wallacea (sud-est de l'Indonésie), Micronésie, Mélanésie et côtes de la Nouvelle-Guinée. Plus à l'est, ces navigateurs ont été les premiers à atteindre, également il y a environ 3 500 ans la Polynésie (peuplement des Tonga , à l'ouest de la Polynésie, il y a environ 3 300 ans) et, il y a sans doute un millénaire , l'A mérique du sud.Enfin, partis en dehors de l'Océanie (sans doute de Bornéo), plus à l'ouest, des Austronésiens parlant des langues barito ont atteint il y a 1 500 ans l'île de Madagascar .
« Pour un peu que l'on connaisse le monde austronésien (ce qui n'est pas le cas de la majorité des historiens malgachisants),
. Ce n'est donc pas laisser aller son imagination et faire du roman que de reconstituer, combinée avec d'autres sources, l'existence des « Principautés des Embouchures ». Jean-Pierre DOMENICHINI.LA QUESTION VAZIMBA HISTORIOGRAPHIE ET POLITIQUE. http://www.cresoi.fr/IMG/pdf/la_question_vazimba.pdf
Tout au long de ce parcours, les populations de la première et de la seconde vague de peuplement se sont assez largement métissées, tant sur le plan culturel que biologique.
A s'en rapporter à l'ensemble de ces sources disponibles, Madagascar paraît bien avoir été inscrite dans un véritable réseau de commerce maritime s'appuyant sur les productions des pays riverains de l'océan Indien et des mers adjacentes. Ainsi la route maritime reliant le royaume du Zimbawe à l'océan indien a favorisé l'implantation de nombreux comptoirs commerciaux par les navigateurs indiens ,arabes ou indonésiens et Les premières explorations de la Grande Ile, puis les premiers établissements permanents se seraient ainsi situés dans une région où les Austronésiens étaient présents et où il est notoire qu'ils avaient le monopole des aromates. Madagascar a pu jouer un rôle important dans ce commerce, entre l'Asie du Sud -Est et le Moyen Orient directement ou via les côtes africaines.
Ceux qui sont devenus les malgaches ont apporté d'Asie sud-orientale des techniques, des outils. Cultivé sur brûlis ou en rizières irriguées et étagées, le riz est indonésien. Les mortiers à riz malgaches ont des formes variées, dont deux types se trouvent identiques à Sumatra Pourtant les détails de leur forme né sont pas imposés par l'usage. Le soufflet de forge à double piston, creusé dans des troncs, se trouve en Indonésie et chez les moïs d'Indochine comme à Madagascar (fig. p. 58). La sarbacane extrême orientale est une arme de chasse et un jouet à Madagascar.
Les éléments indonésiens dominent, mais ne peuvent faire oublier l'apport africain. C'est lui qui a donné aux malgaches leur animal domestique : le bœuf. Angumbi est bantou. Les malgaches l'employaient au XVIIe siècle, puis il est devenu umbi. Dans son chapitre sur les races de Madagascar, Monsieur Hartweg met en valeur que des types divers existent dans tous les groupes malgaches. Il cite un exemple typique: au XVIIe siècle Flacourt divise les tanusi en « noirs » et en « blancs », selon la classe sociale. Or, maintenant la majorité des tanusi est foncée ». ..Jacques Faublee Ethnographie De Madagascar.Musée De L'homme
ils auraient eu l'apparence de gnomes (d'où les fantasmes des anthropologues de la colonisation reprenant la croyance populaire et les assimilant à des nains africains) .On a avancé aussi qu'ils étaient des survivances de l'homme de Flores.La tradition orale en fait d'eux les « Maitres De La Terre », propriétaire de l'Imerina..
La réalité finit par éclairer le mythe en combinant archéologie, génétique, ethnologie, linguistique et histoire : Vazimbas seraient en fait simplement les premiers Malgaches ( paléo ou protomalgaches).
Il n'y aurait donc aucune différence d'origine entre Merina et Vazimba (des princes merina avaient des ancêtres vazimba) mais peut être inégalité de développement au cours de leur histoire.
Pour finir : une illustration du mythe et du culte vazimba selon le récit d'une vieille paysanne, cité par J.P.Domenichini.
« Selon ce que mon père m'a raconté, il y a bien longtemps dans ce village d'Ambatofotsy, il y avait un Vazimba (un tombeau) et c'est au carrefour où l'on tourne pour aller à la tombe de Rabearivelo que se trouvait cette tombe que craignaient les gens d'ici, car c'était la tombe de Ramatsatso. Quand on venait de manger de la viande de porc ou de mouton, l'on n'avait pas le droit de passer près de cette tombe, surtout en fin d'après-midi quand le soleil darde ses rayons rouges, car toute personne qui en avait mangé pouvait disparaître et l'on ne pouvait plus la voir. Ce Vazimba, les gens lui rendaient un service de respect et d'obéissance, et c'est près de cette pierre blanche à l'ouest du village où il y avait une « pierre sacrée » que l'on consacrait les offrandes que l'on portait au tombeau. Venant de cette « Pierre sacrée » quand on descendait pour passer la rivière à gué, il y avait des moments où l'on voyait ce qu'ils faisaient autrefois : sur les fils blancs d'une toile de soie où cheminaient les zébus; il y en avait là à robe rousse, à robe tachetée, à robe marron et d'autres qui avaient la tête blanche. Aussi quand viennent les sanctifier ceux qui croient aux Vazimba, c'est-à-dire ceux qui viennent les prier, ils les appellent, dit-on, disant : « Ô! Vous les belles rousses, les belles tachetées, les belles brunes et les têtes blanches, nous sommes venus vous rendre visite, et faites-vous voir, si Ramatsatso est déjà là », et s'il était là, dit-on, ces vaches apparaissaient. Tout le monde pouvait les voir, dit-on, mais si vous cherchiez à approcher l'endroit où elles étaient apparues, elles disparaissaient aussitôt.
Par la suite, les gens du village firent ce qui chassa ces choses des temps obscurs, dit-on, et l'on sonna du cor [ou du clairon] et l'on transgressa les interdits en faisant manger aux gens de la viande de porc et de mouton dans cet endroit chaque semaine. C'est pourquoi, dit-on, il y eut une fois un tourbillon qui souffla très fort et qui fit disparaître en emportant à la fois ce qu'on disait être une tombe de Vazimba et une « pierre sacrée ». Les gens d'ici, il faut le savoir, n'avaient pas d'interdits, mais autrefois vraiment, même si l'on n'avait pas d'interdit, l'on était obligé de les respecter, lorsqu'on en arrivait à passer à côté de la tombe Jean-Pierre Domenichini .op.cité.
A SUIVRE
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