"Il est revenu".
Paul Bismuth, aka Nicolas Sarkozy, est donc de retour, officiellement.
Sarkozy est tel un vampire, l'un des pires immortels que la droite ait connu. Cette semaine, Manuel Valls venait d'obtenir son blanc-seing parlementaire, avec une majorité encore plus étriquée qu'en avril. François Hollande venait d'affronter 340 journalistes dans un exercice convenu.
Mais Sarkozy est revenu.
Non-évènement
C'est en fait un non-évènement. Nicolas Sarkozy n'est jamais parti ce 6 mai 2012 au soir. Nous savions qu'il mentait une fois de plus, une fois de trop. Il n'a jamais eu l'intention de quitter la politique. Il ne l'a jamais quittée d'ailleurs. Entre deux conférences où il vendait ses conseils à des banquiers d'affaires par paquets de centaines de milliers d'euros, Sarkozy s'est doté d'une équipe de campagne. Frédéric Pechenard, ancien directeur de la police nationale, a remplacé Claude Guéant qui n'a pas fini d'expliquer à la justice les étranges mouvements de cash détectés dans ses comptes.
Sarkozy a simplement attendu 124 semaines pour craquer officiellement.
Pour annoncer son entrée en campagne, il utilise la même technique qu'en 2012 pour sa quête ratée à la réélection. A l'époque, le 15 février 2012, il avait choisi Twitter. Le voici sur Facebook 3 ans plus tard, une autre plate-forme américaine.
Vendredi 19 septembre, Nicolas Sarkozy poste donc un trop long billet sur Facebook, un texte que ses confidents ont ruminé avec lui des semaines durant. Puis il laisse publier des confessions outrancières dans les colonnes du Point. Il lâche ainsi: "François Hollande terminera avec du goudron et des plumes". Par cette simple formule, Sarkozy espère-t-il ressouder les socialistes désunis, voire la gauche toute entière ?
C'est la première bourde officielle de sa campagne pour 2017.
Il ne faut jamais désespérer de Nicolas Sarkozy. L'homme sait être agité, brouillon, impulsif, déraisonné et gaffeur. Qui a oublié l'incroyable ratage de la campagne de 2012 ?
Forcément, et sans surprise, Sarkozy joue à de Gaulle et Jeanne d'Arc réunis. Il vient sauver l'UMP, la droite et aussi la France ! "Je ne peux me résigner à laisser le pays entre le drame du FN et celui du socialisme finissant. La balkanisation de l'UMP me révolte tout comme sa crise de leadership. Je n'ai pas le droit de me soustraire."
Accuser Hollande de socialisme est presque drôle, et franchement anachronique.
Sarkozy avait le devoir de se taire, de se cacher, de se faire oublier en attendant les juges. Il a triché - par deux fois - sur ses comptes de campagne en 2012, il fait l'objet d'un nombre incroyable d'enquête pour des affaires qui chacune mériteraient à elles seules son entière concentration pour se défendre, il a tenté d'influer sur une enquête en cours; il a raté sa réélection, plombé la France, détruit les digues idéologiques qui séparaient le corps républicain du monstre national-socialiste désormais incarné par Marine Le Pen.
Oui, Sarkozy devait se cacher, mais il revient.
Il préfère la course au large pour échapper à ce sort.
Sarkozy attaque Hollande de travers. C'est cocasse. SuperMenteur accuse son successeur de mensonge. "La faute originelle de François Hollande n'est pas tant d'avoir fait campagne sur un programme pour en appliquer un autre, mais d'avoir menti! Dès notre débat du 2 mai, il pose un mauvais diagnostic sur l'état de la France. Ce type ne dit jamais la vérité." Sarkozy a raison sur un point: la situation du pays était pire qu'annoncée.
L'outrance générale du propos rappelle autre chose: Sarkozy nous revient inchangé, c'est-à-dire vulgaire et sans programme autre que la conquête politique.
Qui en doutait ?
La presse se régale des ralliements de dernière minute - Raffarin, Wauquiez, Villepin. Tous couchés quand le plus aboyeur revient. Dans les colonnes de Marianne, Pierre Péant se demande quelles tractations secrètes ont accompagné le ralliement de l'ancien pire ennemi chiraquien, et quel rôle l'ancien intermédiaire Alexandre Djourhi a pu jouer dans cette affaire.
"Trempé mais vivant" La veille, jeudi 18 septembre, fidèle à sa promesse, François Hollande se frotte à 340 journalistes, pour l'essentiel des hommes, coincés en rangs d'oignons dans le salon Murat de l'Elysée. Le moment est terrible, mais Hollande a au moins ce courage. La Conférence dure près de trois heures. Hollande résiste, déclame, explique, justifie. Il évoque trop longuement la détestable situation internationale, du virus Ebola qui dévaste l'Afrique aux massacres du Califat islamiste au Moyen Orient. Pour la France, Hollande reconnaît l'échec, pas le tournant.
Il avoue que les "résultats tardent", mais jamais qu'il a changé, qu'il mène une politique économique fort différente du pacte sur lequel il a été élu en 2012. Il s'excuse de n'être aller aussi vite que Gerardt Schröder en son temps. Le modèle du Sarkozy de 2008 s'est imposé au Hollande de 2014. Qui s'étonne du découragement populaire ?
Hollande a perdu sa gauche sans gagner à sa droite. Parier sur un sursaut face à Sarko est un pari déjà perdu. L'électorat ne se mobilise même plus contre Le Pen. Les stratèges du PS n'ont rien compris.
Mardi, Manuel Valls obtient la confiance des députés pour son second gouvernement. Il bataille sans convaincre, 46 minutes sur un perchoir devant des députés attentifs. Il n'a plus qu'une majorité relative - 269 votes favorables contre 244 opposants et 54 abstentions. Pour y parvenir, Hollande et lui ont menacé les récalcitrants de dissolution. Le président l'a confirmé jeudi.
Valls gauchise son discours. Avait-il honte des précédents, comme devant le MEDEF en aout dernier à Jouy-en-Josas ? Le patron du MEDEF lui facilite la tâche. Quelques heures avant que le premier ministre ne monte sur l'estrade parlementaire, Pierre Gattaz dévoile de nouvelles propositions "chocs" et honteuses - suppression du SMIC et de la durée légale du travail (qui déclenche le calcul d'heures supplémentaires). Valls peut fustiger ces outrances, et rassurer quelques élus socialistes inquiets. L'homme, qui fut sifflé à l'université d'été de la Rochelle, parvient ainsi aisément à se faire applaudir.
Il concède un allègement fiscal - la suppression de la première tranche du barème de l'impôt sur le revenu, pour 9 millions de ménages - et une prime de 40 euros par an (sic!) pour les retraités gagnant moins de 1.200 euros mensuels - soit environ 6,5 millions de personnes.
Mais où est passée la grande réforme fiscale lancée par Jean-Marc Ayrault en novembre 2013 ?
Enterrée.
Hollande s'entête dans une course à la compétitivité où Chinois et autres B.R.I.C.S. ont déjà gagné, et alors même que nos employeurs français trichent à hauteur de 20 ou 25 milliards d'euros sur les contributions sociales qui sont dues à la collectivité... La fraude sociale, la véritable, celle du travail au noir et autres cotisations sociales impayées, explose depuis 2007. Les efforts de redressement paraissent vains. Et la moindre annonce de renforcement des contrôles hérisse le MEDEF. En 2017, entre baisses de charges et fraude massive, la Sécurité sociale - ce B-A-BA de la solidarité nationale - sera encore dangereusement déficitaire.
"Sans résultats, on sera foutu" prévient Valls. Mais quels résultats ? Lui-même est tombé à 22% dans les sondages. François Hollande n'est pas parvenu à rétablir la situation économique désastreuse dont il a hérité d'un ancien Monarque qui voudrait aujourd'hui donner des leçons de bonne politique. La dette publique absorbe plus de 50 milliards d'euros chaque année du budget de l'Etat, elle dépassera les 100% du PIB l'an dernier. Notre ancien Sarkozy l'avait laissé filé de 63% du PIB en 2007 à 89% en 2012.
Sans résultats, ils sont déjà foutus. Il n'y a plus que l'agence Moody's qui reste encore confiante. Vendredi soir, elle confirme la note de crédit de la France, "Aa1", quand d'aucuns prédisaient une dégradation.
Il n'y a pour l'heure que Sarkozy qui soit parvenu à faire dégrader la note de la France sur les marchés.
Et l'opposition ?
Marine Le Pen est ravie. Le retour de Sarkozy est la meilleure nouvelle politique du moment. Car l'ancien monarque promet de "rassembler", c'est-à-dire lui laisser la xénophobie comme terrain de jeu.
Elle pourra observer Hollande et Sarkozy se disputer sur leurs variations neo-libérales.
Car la campagne de 2017 promet en effet d'être désastreuse si rien ne change. Sarkozy et Hollande se disputeront moins sur la politique économique (réductions de charges, gel des salaires, économies budgétaires, what else ? ) que leur sincérité et leur efficacité libérales respectives.
Restent la droite non-sarkozyste et la gauche.
La première a peine à se faire entendre, puisque les plus trouillards se sentent prêts à rejoindre l'ancien monstre, l'Al Capone de la droite républicaine. Elle voterait bien pour Hollande tant sa politique lui convient, mais elle s'hérisse de quelques réformes sociétales et de manquer du pouvoir.
La seconde s'interroge, éparpillée sans parvenir à échanger ni trouver des points de convergence en son sein. Même le Front de gauche est tiraillé entre deux stratégies - discuter avec les frondeurs ou les excommunier ad vitam. Les écologistes, sortis du gouvernement, sont encore incapables de négocier un programme alternatif avec l'opposition de gauche.
Ils peuvent attendre le ras-le-bol social.
Ils risquent d'être déçus.
Ami sarkozyste, rappelle-toi.