La Suisse est composée de 26 cantons et demi-cantons qui ont chacun leurs propres constitution, parlement, gouvernement et tribunaux. Jusqu'à peu, ils avaient aussi leurs systèmes scolaires - certains commençaient même l'année scolaire au printemps, d'autres en automne. Les cantons latins de Genève, du Jura, de Neuchâtel, du Tessin, du Valais et de Vaud sont constitutionnellement des Républiques. Les vingt autres cantons sont constitutionnellement des États.
Le mien, Neuchâtel, est l'un des plus jeunes. Avec Valais et Genève, il célèbre ses 200 ans. Bravo ! Nos autorités se sont donné de la peine pour concocter un joli programme impliquant jeunes et vieux, villes et campagnes, un brin d'histoire, des marchés, des spectacles, des films. Bravo, le bon peuple est heureux.
Très bref extrait d'un spectacle créé pour l'occasion, Place Two Bi (centenaire)Et moi, une revenante, j'ai eu un regard critique, très critique. Depuis plus de 10 ans, peut-être même 20 ans, ce canton n'a plus une identité d'ensemble. Il y a le haut - les montagnes, les industries - et le bas - le lac, les manufactures plus "prestigieuses". D'en haut, on voit le bas comme des privilégiés prêts à nous dépouiller. D'en bas, on voit le haut comme des sauvages besogneux. Les "grandes" écoles (techniques principalement) ont été déplacées vers le bas, pour conserver une masse critique nécessaire, paraît-il. La saga de l'hôpital neuchâtelois dure depuis des années, chaque fois que les politiques planifient un service cantonal en haut, le bas se mobilise pour qu'il ne puisse s'y installer. Les liaisons ferroviaires sont en piteux état, nous venons d'apprendre que les trains pourraient ne plus circuler vers les montagnes dès 2019. Les routes du haut bouchonnent alors que le bas se voit doté d'un réseau routier récent, sur le point d'être terminé. On dirait même que la distance du haut vers le bas n'est pas la même que celle de bas en haut.
Les habitants du bas sont convaincus qu'en haut tout n'est que violence, chômage et danger, en tous cas ceux que nous avons rencontrés, ceux qui se demandent pourquoi nous avons décidé de nous établir à nouveau dans les montagnes. Entre les deux, on trouve "les vallées", Val-de-Ruz et Val-de-Travers, dont les habitants, parce qu'ils relient plus facilement Neuchâtel par la route ou les transports publics, y sont plus naturellement attirés, ça aurait pu paraître plus acceptable si nous avions opté pour l'une ou l'autre vallée !
Dans le haut, le lac des Taillères,
à deux pas de La Brévine, la Sibérie de la Suisse
Neuchâtel, notre capitale, que l'on nomme "chef-lieu".
Le château abrite les autorités.
Pour quelques statistiques : http://www.bfs.admin.ch/bfs/portal/fr/index/regionen/kantone/ne/key.html
Dans le bas, le très paisible village du Landeron
Dans le haut, Le Locle lors de la Foire du livre
Pourtant, vu avec un peu de recul, le canton de Neuchâtel dans son ensemble n'est de loin pas un paradis. Les impôts, par exemple, y sont élevés. Il n'est pas bien géré, il ne fait pas très envie. D'ailleurs, quand on en sort, les Vaudois ou les Genevois ne font pas trop la différence entre le haut et le bas, Neuchâtel est un canton pauvre, peuplé de gens sympathiques voire comiques, mais un peu rustiques. Lors de l'ouverture des festivités du Bicentenaire, Frédéric Maire, directeur neuchâtelois de la cinémathèque suisse de Lausanne a lancé "Chers Neuchâtelois d’aujourd’hui, soyez plus audacieux, prenez exemple sur ces révolutionnaires du Haut qui sont descendus sur Neuchâtel pour libérer le canton des Prussiens!"
A cheval entre le Val-de-Travers et le bas, le Creux-du-Van,
avec vue sur le plateau et les Alpes
Depuis La Sombaille, vue sur les cantons du Jura et de Berne,
et la France
Depuis ailleurs en Suisse, on nous dit vivre au bout du monde, mais en regardant les deux photos ci-dessus, je réalise que nous sommes au milieu du monde. Exactement au milieu. 2 heures pour aller en Allemagne, 2h30 pour l'Italie, 4h pour l'Autriche et le Lichtenstein, 10 km pour atteindre la France, qui dit mieux ? Avec une telle situation, un horizon pareillement ouvert, je me demande bien pourquoi nous nous refermons pareillement sur nous-mêmes. Mais oui, soyons audacieux. Et si, au lieu de faire des fêtes imposées, nous nous mettions à nous respecter mutuellement, à reconnaître toutes nos valeurs ? Et si nos autorités arrêtaient d'avoir un enfant préféré ? Et si nous arrêtions d'élire des gens qui pensent avant tout à leur image plutôt qu'à celle de notre canton ? Alors oui, dans tous ces cas réunis, nous pourrions peut-être bien nous trouver au paradis...
Une interview décalée de 120 secondes