Magazine Humeur
Question à 100 Euros: comment faire repartir la croissance? Ou devrais-je dire la Croissance, avec un grand C, pas comme le chômage ou la crise. La seule et unique solution à nos problèmes économiques et sociaux, voire la solution universelle à tous nos problèmes se résumerait à ce mot : Croissance. La solution pour faire diminuer le chômage? Croissance! Pour le pouvoir d’achat? Croissance! Pour réduire le déficit? Croissance! L’éducation? Croissance! Mes voisins? Crois… Si je me laissais aller à mon imagination et essayer d’imaginer un monde rempli de Croissance telle que la conçoivent nos politiciens, experts, journalistes, et autres imposteurs du système médiatique, qu’y verrais-je? Un monde rempli de joie, où tout le monde est heureux, jouissant d’un emploi en CDI, les poches pleines de pouvoir d’achat ne demandant qu’à être vidées pour l’acquisition d’ipads et autres gadgets censés rendre heureux. La société dans tous ses aspects irait mieux avec la Croissance. Car figurez-vous, que si tous les gens ont un emploi et des revenus, il n’y aura plus de délinquants. Donc avec la Croissance, plus d’insécurité. Et puis avec la Croissance, il y aura même du travail pour les immigrés, donc plus de problème d’intégration. Il y aura aussi des moyens supplémentaires pour l’école, les hôpitaux, les services publics en général, la culture (pour financer les Buren et NTM de demain), les associations, et même… et même… et même… nos Armées! Enfin non, je déconne, ’faut quand même pas rêver, le budget de la Défense lui baisse tout le temps, et tout le monde s’en fout. Cette fâcheuse tendance généralisée à reléguer n’importe quel problème politique, économique ou social à la question des moyens, et donc de la Croissance, est en réalité une perversion majeure du choix par la technique, du qualitatif par le quantitatif, bref du politique par l’économique. Les choix ne sont plus assumés, et l’impuissance d’ordre politique sur bon nombre de sujets est sans cesse justifiée par un contexte économique défavorable (tu comprends c’est la crise…). Mais attention, le gouvernement de “combat” est décidé à relever le defi de la Croissance! Cette perversion est un renoncement énorme de la part de ceux qui sont élus pour tenir les rênes du pays. Gouverner, c’est s’assurer justement que la Nation conserve son destin en main, et ne l’abandonne pas à des variables économiques exogènes. Imaginez un débat où il est interdit de parler de Croissance quel qu’en soit le sujet: éducation, santé, justice, sécurité. Que reste-t-il? Une confrontation entre des visions, des projets, des valeurs, des idées. Cela va tout de suite mieux. La question de la Croissance n’est au fond que celle des moyens, or en aucun cas la question du financement ne peut se substituer à celle de la vision et des valeurs sans générer frustration et incompréhension. Frustration car le retour sans cesse au manque de moyens met l’Etat dans la position du “prunier” (expression chère à Alain Madelin) qui doit être secoué pour pouvoir en récolter les fruits; or dans un monde aux ressources limitées, tout le monde ne peut pas récolter les fruits, d’où la frustration contre les privilégiés et surtout contre l’Etat. Incompréhension aussi, car le dirigeant qui cherche la Croissance peut être amené à faire une chose et son contraire dans le but de faire tourner la machine économique , ce qui a pour conséquence de désorienter le citoyen naïf qui ne comprend rien à ces allers-retours, surtout lorsqu’il voit par exemple l’ennemi d’hier de la Finance monter avec ses copains (socialistes en plus) un projet de politique libérale axée sur l’offre. Le fond du problème, c’est que la question de la prospérité économique occulte complètement la question du projet national. Quel projet a-t-on pour la France? Comment la voit-on aujourd’hui, demain, dans un an, cinq ans, dix ans? Des questions simples, et des réponses qui divergent, mais c’est là la beauté de la démocratie. Des débats enflammés, des coups de gueule, des engueulades, mais des hommes portés par leurs convictions, et qui eux-même savent les porter avec sincérité. Des convictions! Et pas ces débats de pseudo-experts barbants au possible, de techniciens boutonneux qui se trompent 9 fois sur 10 dans leurs prévisions et qui gardent leurs yeux rivés sur les frémissements du marché de l’emploi américain, la syntaxe de Draghi ou les selles de Barroso (J’exagère un peu mais on y arrive). J’entends déjà les détracteurs qui vont m’expliquer les vertus de la prospérité économique pour la société, l’ascenseur social, la protection sociale, l’emploi, tout ça. Mais évidemment qu’on est tous pour la prospérité économique. On est tous pour le plein-emploi et contre la crise, et surtout on est tous pour avoir plus d’argent. Il faut seulement arrêter ce délire obsessionnel de la Croissance comme unique réponse à tous nos problèmes. J’aime trop la France pour ne voir en elle qu’une junkie accro aux points de “pibe”, et je doute que Napoléon ou de Gaulle n’aient eu que la Croissance comme seul projet pour le pays. Et surtout, surtout, que tout le monde se le mette dans le crâne : la Croissance, c’est fini! Mais ceci est une autre histoire… Photo: partipourladecroissance.net