Nous avons peur de la mort, de plonger dans ce lieu qu’on nomme le néant, d’où nul n’est revenu. Sénèque
Certains vivent dans sa hantise, perdent la vie avant terme. Pierre Corneille écrivait que « chaque instant dans la vie est un pas vers la mort ». À quoi sert-il de marcher dans ce cas ? Peut-être devrions-nous plutôt, comme Seamus Heaney, « vivre jusqu’à notre mort », refouler l’idée de notre inéluctable fin, cesser d’avoir peur du néant, du vide éternel, lier la mort à une correspondance plutôt qu’à un terminus.
En mourant, sommes-nous morts pour toujours, ou l’existence survit-elle ?
Dans les temps anciens, à l’époque de Jésus, les esséniens, des mystiques qui erraient dans la pauvreté, la vertu et l’enseignement des révélations divines (Jean-le-Baptiste en était peut-être un, Jésus aussi), croyaient qu’au début des temps, les forces du Mal avaient emprisonné l’âme divine dans les corps, comme dans une prison, des corps corruptibles, desquels il était possible de s’affranchir en transcendant la chair pour se réapproprier son statut divin. Sous diverses variantes, plusieurs courants religieux ont repris cette conception de l’être, dont le catholicisme. Ainsi, dans ce schème, la mort du corps n’altère en rien l’âme éternelle à jamais libérée.
Nous sommes dans un monde de sensations, où chaque instant est envahi par les images, les arômes, les sons, les saveurs, les contacts. Sans répit, nos sens sont sollicités. Leur pouvoir trompe notre esprit qui nous laisse croire à la primauté de la matière, de la réalité, l’âme se voulant reléguée au rang de spectatrice. Or, la science rejoint les mystiques quant à la nature trompeuse de la réalité. Et si la réalité est chimère, la mort peut-elle en être autrement ?
Pour mourir, il faut avoir été. La vie ne pourrait-elle n’être qu’un rêve dans un univers qui nous échappe, un rêve dont la mort nous réveille ? Einstein disait : « les gens comme nous… savent que la distinction entre le passé, le présent et le futur n’est qu’une persistante illusion. » Dans Propos sur le bonheur, Alain ajoutait : « la mort est une maladie de l’imagination. »
Nous croyons à la mort parce qu’on nous a enseigné que nous allons mourir. Et qu’autour de nous, les corps meurent. Or, notre pensée est déterminée par une impression, celle que le monde existe de manière objective, indépendante de l’observateur. Cette impression est fausse ! L’espace, le temps, la matière elle-même, dépendent de celui qui les regarde. Je suis daltonien. Je ne vois pas les mêmes couleurs que vous. Mon rouge n’est pas votre rouge mais demeure le rouge pour vous et moi. Vous trouvez qu’il fait froid, l’Esquimau à vos côtés transpire, se découvre. L’aveugle ressent des choses, entend des sons, qui nous sont étrangers, à nous les voyants. La réalité dépend de l’observateur. Ce que vous ressentez en ce moment, jusqu’à votre propre corps, n’est que le fruit de votre esprit, de votre système nerveux. Il en est ainsi pour le temps et l’espace, outils de notre esprit pour rassembler les choses en un semblant de réalité.
Quelque chose nous échappe. La réalité confond nos sens, dépasse notre entendement. Tout se passe comme si la distance et le temps n’étaient que le produit de notre esprit. En outre, aucune observation ne peut être prédite de manière absolue. Les possibilités sont multiples et chacune comporte sa propre probabilité. Dans la théorie des univers multiples, il y aurait un univers pour chaque possibilité.
Et la mort là-dedans ? Notre esprit borné et trompé par des sens limités cloître l’existence dans le temps et
J’aime l’idée de voir mon esprit libéré de mes petits bobos, des vicissitudes du monde, à voguer dans l’éternité.
En attendant, mes yeux s’enivrent des beautés de la nature, mes papilles dégustent le bon vin et la boustifaille, j’inspire les fumets de la vie, j’écoute le gazouillis des oiseaux, je frissonne sous la caresse du vent, goûtant ainsi chaque instant de cette vie si merveilleuse et précieuse, illusoire ou pas.
© Jean-Marc, 2014