Les étranges géoliers de Philippe Beau

Publié le 18 septembre 2014 par Jean-Pierre Jusselme

Vers 11h00, le 27 février 2012, sur un chemin de campagne dans le massif du Pilat, Bettina Beau, 41 ans, assistante de direction, vide le barillet d'un revolver 8mm sur son patron, Philippe Gletty, directeur de la société Princeps Alu à Saint-Paul en Jarez. Rencontre avec Philippe Beau, le mari de la meurtriere. Il transforme le drame qui a frappé sa famille en un ouvrage d'autofiction. Il sera l'invite de Jacques Pradel sur RTL en octobre.

Lui est libre, elle est en prison. Bettina Geoffray, ex-épouse Beau, condamnée tout d’abord à 18 mois avec sursis pour faux en écriture et détournement de fonds à son entreprise (38 000€ sur sept années) purge actuellement une peine de 18 ans de réclusion criminelle pour assassinat. Elle est incarcérée à la Maison d'arrêt de la Talaudière à l’issue du procès qui a eu lieu du 21 au 23 mai 2014.

Un livre va naître bientôt, comme une lumière au bout d’un sombre tunnel

Paru surwww.titrespresse.com

Philippe Beau est « libre comme l'air » après avoir été placé 48H en garde à vue et soupçonné, puis, aussi vite innocenté. Mais sa prison n'a pas de mur : Philippe Beau vit un enfer moral et social. Ses étranges geôliers ont pour nom voisinage, faux amis, rumeurs, messes basses, attaques de la partie adverse. "J’ai déjà la souffrance de l’évènement et à cela s’ajoute la méchanceté gratuite et injuste des autres" dira-t-il. L’avocat de son ex-épouse aura peint plusieurs visages/tableaux de sa cliente : femme objet du désir des hommes, victime de burnout… A chaque fois, le mauvais rôle revient aux hommes qui l’ont côtoyé…

 Qu'on ne s’étonne donc pas si un crime insondable appelle en quelque sorte une méditation inépuisable (Vladimir Jankélévitch)

Philippe Beau, ancien responsable d'agence dans la location automobile à Saint-Chamond et ancien directeur commercial dans l’édition sur Lyon et Saint-Etienne, est comme sali par ce crime qu'il n'a pas commis. Coupable de lâcheté aux yeux de certains, coupable d'avoir délaissé sa femme, voire même la conduisant à sa perdition… "On parle souvent dans une affaire comme celle-ci des proches de la victime comme étant eux-mêmes des victimes", confiera-t-il. J’e compatis à la douleur et la peine des parents, des filles, des sœurs de Philippe Gletty… De quel droit peut-on arracher la vie d’un homme, comme ça, avec autant de violence et qui plus est dans un acte prémédité. On n’est pas sur un coup de folie passagère, une bagarre de rue qui dégénère, non, on est face à un acte froid, réfléchi, décidé. Mais n’oublions pas que dans de telles situations, on ne parle jamais ou que très rarement des familles du ou de la coupable."

Dédicacé à Manon

Seul le jugement moral de leur fille Manon importe à cet homme de 54 ans. Chahutée à l’école et sur les réseaux sociaux, la jeune fille aborde sa majorité en témoignant malgré tout son amour à sa mère même si elle ne cautionne pas et souffre encore intérieurement de l’acte criminel commis par sa génitrice et qui l’a marquée au « fer rouge ». Le livre de Philippe Beau est aussi une lettre intime à sa fille, d’ailleurs, il sera dédicacé à Manon. "Elle a été ma « bouée de sauvetage » dans ce naufrage, sans elle à mes côtés je ne serais plus là pour témoigner aujourd’hui. Je reconnais avoir voulu lâchement partir, fuir ce désastre, regrettant même parfois de ne pas avoir été ajouté au triste « tableau de chasse ». Malgré l’amour de mes proches et la main tendue de mes amis, seul le regard de ma fille m’a sauvé, c’est là que l’on mesure que la vie tient à peu de choses. J’espère aussi avoir été pour Manon la passerelle qui lui permet aujourd’hui d’avancer sur une autre route, plus droite, plus propre. Qu’elle se souviendra de tous ces instants difficiles et que cela lui permettra d’affronter plus sereinement les affres inévitables de son parcours à venir" avouera-t-il sans honte.

La Presse et ses phamtasmes

Son livre au titre « Les pommes ont un goût amer » devrait paraître prochainement. C'est un peu sa clef des champs. Au départ, « carnet de bord en vue du procès », « exutoire indispensable » pour éradiquer ce « cancer », le récit est devenu alors roman, polar existentiel. On imagine déjà l'adaptation audio-visuelle avec la mention « adapté d'une histoire vraie ». Il est vrai que cette histoire ouvre les portes de l'imaginaire. « L'affaire » comme il l'appelle, avec un mur posé entre lui et les faits, a fait les gorges chaudes de la presse. "Les gens du journal le Progrès dont Jean-Hugues Allard ou Jean-Yves Moullin ont eu le souci de la vérité " explique-t-il reconnaissant. Son trait est moins tendre pour les médias parisiens taillant à la serpe dans l'affaire pour une storytelling bien emballée. Après le portrait fort bien réalisé et diffusé le 31 aout sur TF1 dans l'émission « 7 à 8 », (Thierry Demaizière et Léo Monnet), il assume cette histoire et veut faire reconnaitre son statut de victime collatérale. Quand on le retrouve chez lui près de Saint-Etienne, on découvre un homme écœuré par un article de 3 pages paru dans le magazine « Elle »  "Une enfilade d'erreurs et un procès à charge contre cet homme, accusé d'avoir tiré son épouse vers la luxure et de l'avoir délaissée. Une caricature de presse prétendument féministe écrite par une prétendue journaliste."  « Les pommes ont un gout amer » sera là pour rétablir la vérité. Ceci pour comprendre et donner à comprendre.

 Un livre meurt d'être achevé.  (Paul Valéry)

Polar existentiel

Photo Celik Erkul

Ce polar existentiel sera le récit de ces quelques jours de 2012. Depuis 2 ans et demi, il se débat chaque nuit comme Jacob sur le Pont avec l'Ange. Ses cauchemars sont pleins d'étranges attracteurs : aimer, haïr, pardonner, comprendre. Passera-t-il le gué ? Philippe Beau est un homme de plume et de culture, "un humaniste épicurien", qui a trempé l'encre dans le sang du crime. Pour qui sait voir, sa maison est une forêt de symboles. La nature morte des pommes, ce modeste petit tableau accroché dans le salon, symbole du fruit défendu, du jardin d'Eden banni, de l'amour passionnel et de la mort de leur couple. "Les pommes sont devenus ses pommes". Le vernis se craquelle déjà comme dans un portrait de Dorian Gray. Pour exorciser le mal qui le ronge, Philippe écrit, d’ailleurs il a toujours écrit. Ses coups de gueule, ses états d’âme, ont déjà noircis de nombreuses pages, au même titre que ses diverses biographies. Celle d’un fabricant de piano mécanique stéphanois Jean-Marie Brun et son « Brunophone », celle de l’incontournable funambule Henry’s célèbre dans le monde entier, ou encore la saga d’une famille de marionnettistes lyonnais, les Streble, avec Guignol et ses compagnons en fil conducteur… "Je ne suis qu’un passeur de mots, je n’écris pas l’histoire, je la raconte – Mais là, pour « les pommes ont un goût amer » c’est plus fort, plus brutal, c’est tout simplement du vécu à l’état pur ".

Rencontre

Le polar existentiel de Philippe Beau

Le sentiment peut être partagé. Entre empathie pour cette victime collatérale, circonspection devant les murs qu'il a construit pour transformer le drame en autofiction, récit fictionnel, écrit dans le marbre des presses.

Bettina est l'héroïne des « pommes ». Tout ne colle pas dans le tableau clinique de la psychologie de Bettina Geoffray. Quelle est la vraie Bettina ?

On  a eu 24 années de vie commune. Je l'ai rencontrée elle avait 17 ans et demi, de suite nous avons vécu ensemble avec l'accord bien-sûr de ses parents. On a eu les hauts et les bas d'une vie de couple classique. Je pensais bien la connaître. Alors crime passionnel ? Burnout ? Acte froid et calculateur d'une femme désireuse d'assouvir une vengeance ?  Spirale infernale d'une femme prise en otage de ses propres désirs de réussite ? Peur panique de la rétrogradation sociale et affective ?  Qu'est-ce qui a poussé mon ex-femme au meurtre ? Il y a deux Bettina. Celle que j'ai connu, aimante, saine. Celle que je retrouvais hors des horaires de bureau. Et puis, celle qui quittait le domicile conjugale pour aller travailler. C'est étrange ce double visage. Deux femmes dans un même corps, sorte de doctoresse Jekyll et miss Hyde… La presse est fascinée par cette histoire. Elle dresse un état psychologique de Bettina mais aussi de notre couple, de moi-même, de la société dans laquelle on vit. Personnellement, je suis toujours devant le mystère du comportement humain.

Est-ce que le livre pourrait relancer l'affaire ? 

Non pas du tout. Elle a été jugée et condamnée à 18 ans de prison. 18 ans demandés par l’avocat général, 18 ans décidés par les jurés. Certes, avec les remises de peine et la bonne conduite en incarcération, elle pourrait sortir en 2020. Qu’en pensera alors la famille de Philippe Gletty ? D’ailleurs, demain lorsqu’elle sortira, on la prendra en charge pour sa réinsertion, mais nous, qui nous prend en charge ? Qui se soucie de nos problèmes dans cette nouvelle vie ? Certes j’ai été très en colère parfois envers elle. En colère lorsque j’ai commencé à entendre, à comprendre ce qui s’était réellement passé.  Toutes les hypothèses ont été explorées traitées durant l'instruction y compris ma culpabilité.

Faire de ce drame qui vous a frappé dans votre chair, un ouvrage auto-fictionnel. Pourquoi ?

A la base, tous mes écrits étaient en prévision du procès, pour ne pas oublier les détails de l’affaire. Aujourd’hui, c'est une autofiction. J'ai changé les lieux et les noms mais gardé l'unité d'action. L’ouvrage se compose de trois parties, le jour du meurtre, les jours qui suivent jusqu’aux aveux, puis des aveux à ma sortie de garde à vue. Il est le récit de ces 11 jours avec en finalité des vies qui basculent. La forme romanesque permet d’émettre des hypothèses, mes hypothèses sur le pourquoi de son geste fou, les pièges et la dureté de la garde à vue. Egalement sur les zones d'ombre et de lumière de plus de deux décennies de vie commune avec celle que je croyais connaître mais que je ne connaissais pas. La douleur aussi et surtout l’incompréhension d’une trahison orchestrée et impitoyable. Malgré tout je n’ai pas de haine, ni de rancune envers cette femme. Je garde juste la mémoire de ce qui s’est passé, de la mémoire c’est tout.

Propos recueillis par Jean-Pierre Jusselme