Désolé, le sujet est si vaste que je vais laisser certains lecteurs sur leur faim. Je pourrai prolonger cet article un jour ou l’autre, notamment sur son style et son influence.
Il s’appelle Charlier, Henri de son prénom. Ne le confondez pas avec Jean-Michel Charlier, le fameux auteur de bandes-dessinées, notamment Buck Danny, Blueberry, la patrouille des Castors, Barbe-rouge, Tanguy et Laverdure.
Toujours est-il que le Charlier prénommé Henri est né à Paris en 1883 d’un père violemment athée ; il n’est donc pas baptisé, ce qui en étonnera plus d’un plus tard, moi le premier ! Très jeune, il s’intéresse à l’art : peinture (notamment Puvis de Chavannes), mais aussi musique (il joue du piano). A dix-neuf ans, il entre dans l’atelier de Jean-Paul Laurens où il ne reste qu’un an, mais cette expérience lui confirmera sa vocation d’artiste. Il travaille à Paris où il installe son atelier, côtoie Rodin, Matisse, Bourdelle (quand même !). Il admire son premier Gauguin en 1910 et en sera marqué à vie ; l’année d’après, il expose pour la première fois, au Salon des artistes indépendants. Deux ans plus tard, après une longue période de réflexion, il se fait baptiser, se marie et se met à fréquenter les écrivains catholiques, en particulier Maritain, Péguy et Psichari. C’est à cette époque qu’il demande l’oblature bénédictine et visite le Mesnil Saint-Loup, prieuré olivétain situé dans l’Aube. Engagé en tant qu’infirmier pendant la guerre, alors qu’il est réformé, il profite de ses permissions pour sculpter. Désormais, il sera davantage sculpteur que peintre. En 1925, il se retire avec son épouse au Mesnil-Saint-Loup où il passera le reste de sa vie. Il y ouvre un atelier de sculpture, peinture, vitrail, broderie (si, si). Il crée même un orchestre pour les habitants ! Il donne également des conférences de philosophie de l’art et d’esthétique, il organise des concerts… C’est lui qui sculpte la croix de la tombe de Péguy, plusieurs monuments aux morts et des chapiteaux (église de Prunay-Belleville). Pendant l’exode, il se réfugie en Auvergne et continue à sculpter : il entame la décoration de l’église de la Bourboule (chapiteaux, tympan, autel, statues). Après-guerre et de retour au Mesnil, il continue à travailler sur des projets variés, y compris l’écriture d’un ouvrage sur Jean-Philippe Rameau, un sur Couperin, un sur le chant grégorien, un autre sur la réforme de l’enseignement et surtout son maître ouvrage L’Art et la pensée. Il meurt le 24 décembre 1975, quatre ans après son jeune frère André, enseignant, directeur d’école, écrivain et musicien. Comme vous pouvez le constater, son œuvre est immense : en effet, il est sculpteur, peintre, écrivain, philosophe… On compte plus d’une centaine de sculptures individuelles, de grands ensembles (maîtres-autels, bas-reliefs..), des gisants… : le catalogue fait 32 pages ! Mais aussi, de nombreuses peintures et dessins, moins connus et tout aussi magnifiques. Sans oublier 14 livres publiés, des dizaines et des dizaines d’articles, notamment dans Itinéraires sous la signature de Minimus (lui, le grand !). C’est un artiste complet qui allie œuvre des mains et œuvre de l’esprit. Peut-on les dissocier d’ailleurs, tant elles sont imbriquées ? Artiste et penseur chrétien, il faut lire et relire ses textes lumineux, aussi pénétrants en théologie qu’en histoire de l’art, saupoudré d’une culture artistique immense et d’une sensibilité sans égale. Artiste bien de son temps, il est influencé par son époque (Puvis, Gauguin…) mais n’oublie pas l’héritage de la sculpture médiévale et des primitifs français : il suffit de voir « ses » visages pour s’en convaincre. Il voit l’art comme une composante indispensable de toute société qui lui permet de s’ouvrir à la transcendance. Comme il l’écrit : « Le beau est une valeur morale indispensable à la société. L’amour est fait de beau et de bon, et c’est cela le vrai : l’amour du beau et du bon. L’œuvre de l’intelligence est de scruter l’œuvre de l’amour divin sans oublier jamais cet amour fondement et aboutissant de toute la création.»Maintenant, place aux oeuvres, le choix a été très difficile !