New incursion of director Jean-Charles Hue (BM du Seigneur) in the universe of Travellers with Eat Your Bones (2014), selected at the Directors' Fortnight and won the Prix Jean Vigo this year. Prepare yourself for a journey to the end of the night. More in English >> (Translation in progress, come bubble later)
Qu'est-ce que le cinéma ? À cette question qui opposent décideurs, créateurs, critiques et distributeurs, plusieurs réponses sont possibles. L'une d'elle pourrait être (pour reprendre Gilles Deleuze) que le cinéma est une nouvelle configuration de notre espace et de notre temps. Mange tes morts fait bien entendu partie de cette catégorie. Dès le début du film, une chasse au lapin sur une moto au milieu d'un champ confirme cela. Nous sommes dans une communauté de gens du voyage où le jeune Jason Dorkel (Jason François) s’apprête à célébrer son baptême chrétien. Mais rien n'est expliqué. Le réalisateur nous plonge directement dans le quotidien de ces personnages et nous ne comprenons qu'au fur et à mesure les tenants et les aboutissements de ce qui se passe.
© Capricci Films
Qui dit communauté dit traditions, façon d'être et façon de parler différentes. Regard très intéressant dans une époque où le vivre ensemble est de plus en plus problématique. Le film se passe en France, les personnages parlent français (un français agrémenté d'expression bien à eux, soit) et pourtant il est sous-titré. Même dans la langue, l'ailleurs est présent et participe à notre immersion. La langue si ordinaire pour nous qu'est le français revit à travers de longues discussions sans fin rythmées d'accents et d'idiomes différents : "chmidts" (policiers), "pral" (ami), "tchouraver" (voler), "tchar" (prison), ... et surtout "mange mes morts", insulte suprême qui signifie renier ces ancêtres.Un autre langage mais aussi un autre corps. Comme Bruno Dumont qui aime travailler avec des non-professionnels, Jean-Charles Hue filme des corps peu vus au cinéma. Ici, pas de gueules d'acteurs mais des gueules de personnages comme celle imposante de Frédéric Dorkel (déjà vue dans La BM du Seigneur) qui portera l'odyssée du film sur ses larges épaules. Proche du Larry Clark de Kid, Jean-Charles Hue se plaît à jouer de ces corps réels dans la fiction. On sent ici le plaisir de faire du cinéma avec une matière brute et de la faire palpiter sous les pixels.
© Capricci Films
Mais revenons un peu au récit du film. Le jeune Jason, 18 ans, est à un âge charnière où il doit choisir entre devenir un bon chrétien ou devenir un "bon" voleur. Mais tout bascule quand le demi-frère de Jason, Fred (Frédéric Dorkel), sort de prison. Fasciné par lui, Jason va le suivre avec son autre frère Mickaël (Michaël Dauber) et son cousin Moïse (Moïse Dorkel). Ensemble, ils vont comme descendre dans les entrailles de la Terre (magnifique scène souterraine) pour récupérer une vieille Renault Alpine tout juste retapée. Revenus à la surface, ils vont ensuite rouler toute une nuit dans le monde des « gadjos » (ceux qui ne font pas partie de la communauté) à la recherche d’une cargaison de cuivre à "tchouraver".Récit initiatique aux superbes et mystérieuses images (Jonathan Ricquebourg à l'image), Mange tes morts est un film unique, un road-movie de 1h30 loin des sentiers battus. Si le film peut se perdre à certains moments et accuser des longueurs, il en restera à la fin la beauté du geste, la fraîcheur de l'essai et le plaisir de l'exploration.
"Tu sais, mon frère, dans la vie, il faut payer se dîme. Tout tchouraveur, tôt ou tard, il paie sa dîme. Et moi... ma croyance, c'est ça" (Fred Dorkel).Pour conclure Mange tes morts est une aventure cinématographique jusqu'au-boutiste (maintenant si rare) qu'il faut absolument vivre.
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Site du distributeur : http://www.capricci.fr/mange-morts-2014-jean-charles-hue-113.html