« Excursions dans la zone intérieure »
AUSTER Paul
(Actes Sud)
« Faire partie des choses et néanmoins ne pas en faire partie. Être accepté par la plupart des gens et regardé cependant avec suspicion par d’autres. Après avoir embrassé, petit garçon, le récit triomphal de l’exceptionnalisme américain, tu as commencé à t’exclure de ce récit, à te rendre compte que tu appartenais à un autre monde en plus de celui dans lequel tu vivais, que ton passé était ancré dans un ailleurs, dans de lointains villages d’Europe orientale, et que si tes grands-parents maternels et tes grands-parents paternels et tes arrière-grands-parents maternels n’avaient pas eu l’intelligence de quitter cette partie du monde quand ils l’avaient fait, presque aucun d’entre vous n’aurait survécu, vous auriez pratiquement tous été assassinés pendant la guerre. La vie était précaire. Le sol sous tes pieds pouvait céder à tout moment, et maintenant que ta famille avait atterri en Amérique, avait été sauvée par l’Amérique, ça ne signifiait pas pour autant que tu devais t’attendre à être le bienvenu… »
Ces quelques phrases éclairent le sens de ce nouveau récit concocté par Paul Auster, cette immersion dans l’enfance, son enfance américaine. Des pages où derrière une grande pudeur, l’écrivain fait bien plus que narrer des souvenirs, des pages dans lesquelles il permet de mieux comprendre ce qui l’a construit, de ses relations d’alors à la religion juive jusqu’à ses nombreuses lectures, les premiers films dont il fut un spectateur attentif, passionné parfois. Mais aussi les amitiés, les deuils. Mais encore, à l’âge de l’émancipation, la découverte de l’autre monde : le continent européen. Instantané étrange qui amusa le Lecteur : en octobre 1967, il croisa peut-être Paul Auster à Paris lors de l’évènement que ce dernier retraça dans une des missives qu’il destinait alors à son amie (« Parmi les choses que j’ai faites récemment, une des plus passionnantes a été de me rendre à un rassemblement du parti communiste qui fêtait le 50° anniversaire de la Révolution russe. Youri Gagarine, le premier cosmonaute, en était « la principale attraction ». Je n’ai jamais entendu autant de bruits, de hurlements, de chants… »)
Il ne s’agit nullement d’une autobiographie. L’Ecrivain, dans le fatras de ses souvenirs, dont bien évidemment l’effroyable guerre américaine au Viêt-Nam, éclaire l’émergence de son œuvre. Afin de conférer une part d’authenticité à son propos, il prend même le risque de reproduire une assez longue suite des courriers qu’il adressa à son amie à la fin des années 60. L’ensemble atteint ainsi à la cohérence (et non à l’autosatisfaction). « Tu défends toujours ce paradoxe qui a cherché à capturer l’étrange dualité du fait d’être en vie, cette inexorable union de l’intérieur et de l’extérieur qui accompagne chaque battement de cœurs de la naissance à la mort. »