Quelques extraits d’un très beau livre, préparé par Guilhem Fabre, Instants Éternels, Cent et quelques poèmes connus par cœur en Chine, édité par La Différence.
En traversant la Han
Par-delà les montagnes il n’y a plus de nouvelles
Ont passé les hivers et passé le printemps
A l’approche du pays mes craintes vont redoublant
À tel point que je n’ose questionner les passants.
Song Zhiwen (656-713)
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Chant du saule
L’embellie vert jaspée s’est transformée en saule
Du haut duquel dix mille tiges retombent
rubans de soie verdoyant
Qui donc a ciselé si finement ces feuilles ?
Le vent de la deuxième lune à couper au couteau
He Zhizhang (659-744)
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La lune brille devant mon lit
Comme si le sol était de givre
Levant la tête je la contemple
Baissant la tête je songe à mon pays
Li Baï (701-762)
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Souvenirs du sud du fleuve
Sud du fleuve splendeur des paysages que j’ai connus par le passé
Au lever du soleil sur le fleuve le rouge des fleurs luisait plus que le feu
Quand venait le printemps sur le fleuve le vert devenait comme bleu
Sud du fleuve comment pourrait-on t’oublier ?
Baï Juyi (772-846)
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Impressions de lecture
Vaste bassin carré ouvert comme un miroir
Où défilent la lumière du ciel les reflets des nuages
Vous me demandez ce qui le rend si pur
L’assemblage de ses eaux venant d’une source vivre
Zhu Xi (1130-1200)
Guilhem Fabre, Instants éternels, Cent et quelques poèmes connus par cœur en Chine, édition bilingue, La Différence, pp. 50, 59, 106, 172 ; 269
Cette anthologie qui s'arrête à la fin des Song du Sud, en 1279, réunit les poèmes classiques les plus cités. Elle détaille, pour la première fois par rapport aux autres anthologies, les conditions contemporaines de leur usage qui assurent leur transmission. De façon générale, un poème a pu traverser les âges grâce à la célébrité d'un vers ou d'un distique, repris à l'occasion par tout le monde ayant un bagage d'enseignement secondaire dans les années 60 ou ayant passé par l'enseignement supérieur, depuis les années 80.
La deuxième nouveauté de ce recueil est la tentative de replacer les poèmes dans le contexte de leur époque, de la vie et de l'itinéraire de chaque poète. Depuis les années 80, s'est opérée une véritable renaissance des travaux sur l'Empire du milieu et la poésie, en Chine comme à l'étranger. Mais si l'on en sait beaucoup plus sur la vie et l'œuvre des poètes de la grande époque classique, sous les Tang (618-907) et les Song (960-1279) aucun recueil n'a encore tenté de recouper les découvertes de ces dernières décennies, de retisser la trame des influences et des héritages, et de restituer, au plus près, le souffle des poètes de leurs temps, dans la continuité des âges. Cette galerie de 55 portraits façonne, au fil des pages, une histoire réincarnée de la Chine à travers ses créateurs préférés. (prière d’insérer)
Essayiste, poète et traducteur, Guilhem Fabre est sinologue.