Un an plus tard il publie Toute ressemblance avec le père, titre équivoque qui ne le reste pas longtemps, après avoir jeté un trouble passager.
Les auteurs sont nombreux, à commencer par Aragon dans Aurélien, à écrire précautionneusement quelque chose du style : Les personnages et les situations de ce roman sont purement imaginaires. Toute ressemblance avec des faits ou des personnes privées que l'on pourrait y apercevoir serait entièrement fortuite et indépendante de la volonté de l'auteur.
On comprend vite que la question ne se pose pas pour Franck Courtès. Il a extrêmement tout construit et rien n'est fortuit. A commencer par la couverture où il se met en scène, avec son propre fils, dans une posture semblable, l'appareil photo simplement dressé entre eux. Le lecteur devient la paroi qui renvoie leur image.
La relation avec son enfant est prétexte pour explorer celles qui se sont nouées -ou qui ont été manquées- avec le père, en l'occurrence celui de l'auteur. Car il s'agit bien d'un récit autobiographique. Et s'il est difficile de se construire avec l'image d'un fantôme de père il n'est pas impossible de modifier sa trajectoire. Yves Saint-Laurent est cité en exergue : Tout homme pour vivre a besoin de fantômes esthétiques.
A défaut d'accepter son passé, l'écrivain en fait un terreau et réussit merveilleusement à le modeler en déconstruisant l'histoire, pour mieux donner du corps à chaque chapitre. On pourrait critiquer la manière dont la chronologie bouscule le lecteur comme les secousses d'une voiture dont on pousse le régime. On se dit qu'on va caler. Mais non. Au final on ressent un vrai plaisir de lecture avec ce qui est devenu un vrai roman.
On bénéficie au passage de quelques analyses fort justes sur le métier de photographe et la difficulté que le sujet peut avoir à accepter son image. Ainsi Laure estime la photo très bien, mais ne s'aime pas dessus au motif que c'est horrible de vieillir (p. 218). Franck Courtès, photographe, analyse : Chacun doit renoncer à l'image de sa jeunesse un jour ou l'autre. Ce n'est pas une question de beauté mais de temps. Le photographe en est le fossoyeur. C'est la raison pour laquelle on nous craint tant. L'appareil photo est une faux impitoyable.
Il nous donne aussi quelques très belles descriptions de paysages, notamment ces séances de pêche à la truite qui enclenchent et clôturent le livre. Aucun doute que son oeil de photographe est au centre du cyclone de son enfance : j'étais un cristal de garçon, nous prévient-il p. 12.
Nous sommes nous aussi hantés par nos souvenirs, surtout quand ils sont associés à la brutalité d'un départ qui a été insuffisamment expliqué. Les morts tragiques ont tendance à transformer la victime en héros ou en modèle, avec des injonctions comportementales qui composent un héritage souvent très lourd, surtout pour un adolescent.
Il faut beaucoup de ténacité et d'amour pour fouiller le passé, faire la part des choses, tenter de comprendre, peut-être de pardonner pour ne pas répéter avec son propre fils les erreurs de parcours que l'on a subies. On peut tout par la pensée, fait-on dire à l'enfant (p. 438). On peut tout par les mots, dirait-on de l'écrivain.
Toute ressemblance avec le père de Franck Courtès chez JC Lattès, en librairie depuis le 27 août 2014