La multiplication des récompenses et l’augmentation des budgets consacrés à la lutte contre le vieillissement font de la médecine régénérative la nouvelle coqueluche du transhumanisme américain.
La population américaine vieillit : en 2030, 20% de la population aura plus de 65 ans. Le milliardaire Peter Theil, fondateur de Paypal et figure centrale de la Silicon Valley, a bien compris cela et a choisi d’investir à hauteur de plusieurs dizaines de millions de dollars dans cette récente tendance de la biologie régénérative, sous la forme de don à la fondation SENSE (Strategies for Engineered Negligible Senescence), fondée par le biologiste controversé Aubrey de Grey. En effet, le marché de la biotechnologie anti-vieillissement est en véritable explosion, tant par son chiffre d’affaire croissant – deux milliards de dollars selon Proteus Venture Partners – que par l’engouement scientifique, industriel et désormais politique. Celle-ci reste néanmoins suspecte aux yeux d’une partie de la communauté scientifique, tant les promesses peuvent sembler spéculatives au vue du degré d’ignorance de la science sur le sujet.
L’industrie de l’immortalité ?
Déjà Google, en 2013 avec son retentissant projet Calico, avait mis le pas à l’étrier de la recherche visant à retarder l’âge de la mort naturelle. Mais ces recherches sont victimes d’une association abusive avec la multiplication de startups proposant des services de cryogénisation (la conservation par le froid) plus ou moins fantaisistes. L’amalgame entre la médecine réparatrice et l’industrie florissante du combat contre la mort a desservi l’image de la première au sein de la communauté scientifique. D’où peut-être l’apparition du Palo Alto Longevity Prize, prix récent récompensant les meilleurs travaux de recherche pour la lutte contre le vieillissement. Très explicite sur son ambition, le prix a été crée pour rendre plus attractif ce champ de la recherche, et se place dans la continuité de James Watson et Francis Crick, les pionniers de la recherche sur l’ADN. Pour sa part, le Congrès américain a lancé depuis 2011, alors que l’écosystème était loin d’être aussi développé qu’aujourd’hui, une initiative nationale sous le nom de "The Regenerative Medicine Promotion Act", et accélérait la levée de fonds par des incitations législatives. Les institutions politiques se sont donc déjà mises au goût du jour. Ce qui n’est pas nécessairement le cas du domaine scientifique : plusieurs controverses entourent en effet le dynamisme récent autour de la lutte contre le vieillissement. Ces critiques insistent sur l’aspect trop optimiste de la plupart des projets de recherche de l’institut SENS, son agenda ne prendrait pas en compte l’état actuel des recherches, et resterait donc très spéculatif.
Un nouvel eldorado scientifique
Car c’est en effet une certaine approche de la mort qui rassemble toutes les pistes de la recherche contemporaine visant à retarder l’âge de la mort biologique. Celles-ci considèrent le vieillissement comme un phénomène de détérioration progressive de l’organisme, sur lequel il serait possible de jouer en réparant l’organisme plus vite qu’il ne se détériore. Si la mort biologique est la conséquence d’une détérioration trop importante de l’organisme, alors la réparation des cellules en question pourrait logiquement la retarder. La lutte contre la vieillesse diffère donc, dans ses moyens comme dans ses ambitions, du secteur lui aussi très porteur et déjà institutionnalisé, de la biotechnologie, avec ses bio-imprimantes 3D qui, de CRISPR à Regenovo permettent d’imprimer du vivant, du génome aux organes. La revue Rejuvenation Research date de 1998 avec comme éditeur principal Aubrey de Grey, un scientifique britannique qui est passé de la programmation informatique à la biologie appliquée. A suivi en 2003, la Methuselah Foundation puis le SENSE, toujours sous l’impulsion d’Aubrey de Grey. Pour eux, l’intervention de la bio-médecine doit s’ancrer entre le métabolisme du vivant et l’étape pathologique, l’objectif étant d’intervenir au niveau des dommages subis grâce à une ingénierie réparatrice sur l’organisme. L’idée d’Aubrey de Grey est de voir la lutte contre la vieillesse comme une "médecine régénérative" pour les cellules – celles qui mutent, comme celles qui vieillissent, et de donner un traitement adapté à chacune.