Pixeles [Pixels], 1999–2000 Oscar Muñoz Tâches de café sur morceaux de sucre, plexiglass, panneau 35 x 35 x 3 cm. Courtesy de l’artiste et Sicardi Gallery, Houston
Du sucre, du café, de l'eau. Ces matériaux non conventionnels appartiennent à certaines œuvres phares de l’artiste colombien Oscar Muñoz. Mais alors pourquoi le Jeu de Paume, qui présente de la photographie, s’est-il intéressé à cet artiste ?
Né en 1951 à Popayán en Colombie, Oscar Muñoz commence sa carrière par des dessins au fusain de grands formats. Rapidement, il délaisse les support traditionnels et s’intéresse à d’autres techniques comme l’application d’acrylique sur du plastique humide. Il crée alors un procédé unique d'impression sur l'eau. De la poussière de charbon est déposée par sérigraphie sur la surface d'un bac d'eau.
Narcisos (en proceso) [Narcisses (en cours)], 1995–2011 Oscar Muñoz Poussière de charbon et papier sur eau, plexiglas, 6 éléments, 10 x 50 x 50 cm chaque, dimensions de l’ensemble : 10 x 70 x 400 cm. Courtesy de l’artiste
L’artiste interroge la photographie de manière formelle, « cela fait trente ans que j'essaie de comprendre les mécanismes inventés par l'homme pour reproduire une image ». Il tente de saisir l’image, de la fixer. Il questionne aussi l’objet, la photographie dans son cadre de verre, qui reflète ceux qui l’entoure. Dans A través del cristal, Muñoz utilise des photos de famille empruntées à des habitants de Cali et superpose la photographie et une vidéo présentée comme un reflet.
La vidéo, comme la photographie, sont des témoins de l’instant. Témoins aussi de la performance artistique. Ainsi, l’éphémère Narciso, dont l’image s’écoule, est visible par le spectateur grâce à la vidéo. L’œuvre présentée n’est plus l’objet en train de disparaître (comme c’est le cas pour la série des Narcisos (en proceso) où l’évaporation était imperceptible à l’œil humain) mais la vidéo de l’objet.
Narciso [Narcisse], 2001 Oscar Muñoz Vidéo 4/3, couleur, son, 3 minutes. Courtesy de l’artiste
Ces questionnements sur la fixation de l’image dépasse une simple recherche de forme. Les « protophographies » de Muñoz, ce « néologisme qui évoque l’opposé de la photographie, le moment antérieur ou postérieur à l’instant où l’image est fixée pour toujours » sont de véritables réflexions sur la mémoire et l’oubli.
Il y a chez Muñoz une véritable dimension sociale. Il saisit l’homme. Lui-même dans ses autoportraits, les inconnus qui ne sont jamais venus chercher leur propres images (Archivo porcontacto), les oubliés et les disparus. Dans son Proyecto para un memorial, il élève l’anonyme en lui donnant un monument, dans un processus de mémorialisation de ces individus qui refusent de sortir de l’Histoire.
L’apparition, la disparition ne sont pas arbitraires mais bien inéluctables. Le mythe de Narcisse est évoqué dans sa quête d’une image insaisissable, telle l’eau qui inévitablement finira par s’écouler des mains (Línea del destino) ou l’eau qui inévitablement finira par sécher au soleil (Re/trato).
Línea del destino [Ligne du destin], 2006 Oscar Muñoz Vidéo 4/3, noir et blanc, sans son, 1 min 54 s. Courtesy de l’artiste
Et Muñoz ne piège pas le spectateur, il ne lui ment pas. La présence d’une bonde au fond de l’évier ou la bande laissant entendre l’écoulement de l’eau ne laisse aucun doute quant à l’issue finale dans Narciso.
Quelle est l’attitude à adopter face à ce constat ? Muñoz opte pour le combat.
Cependant le combat est vain, véritable mythe de Sisyphe. Un combat impossible à gagner mais aussi inévitable. La comparaison prend tout son sens lorsque l’on se souvient que le supplice de Sisyphe lui a été infligé pour le punir d’avoir défié les dieux. Sa tentative de piéger Thanatos pour d’échapper à sa mort était aussi vaine que d’essayer d’empêcher l’eau de sécher au soleil.
Re/trato [Portrait/Je réessaie], 2004 Oscar Muñoz Projection vidéo 4/3, couleur, sans son, 28 minutes. Courtesy de l’artiste
Le plus admirable dans le travail de Muñoz c’est de parvenir à s’extirper du sinistre par la poésie et l’humour. Il y a de la beauté dans les corps mouvants sur des draps de douche (Cortinas de baño), il y a de l’ironie dans cette décision de se jouer de la disparition avec Sedimentaciones, il y a du ludique dans le fait de proposer une œuvre qui n’est visible qu’en soufflant dessus (Aliento). Car Muñoz est un artiste qui pense les rapports entre son œuvre et l’espace et entre son œuvre et le visiteur.
Alors rendez-le lui et courez visiter cette magnifique exposition.
Jusqu'à dimanche
Jeu de Paume
1 place de la Concorde, 75008 Paris
Fermé le lundi
Entrée : 10 euros
Tarif réduit : 7,5 euros