Au nord, c'étaient les corons
La terre c'était le charbon
Le ciel c'était l'horizon
Les hommes des mineurs de fond.
La chanson de Pierre Bachelet, écrite par Jean-Pierre Lang, en référence aux mineurs du nord de la France, s'inscrit au patrimoine de de toutes les cités minières. A Monceau-les-Mines, la population pleure en écoutant le chanteur vénéré comme une icone.
Il y a peu, Simone, ma mère, qui a grandi dans cette ville nous fredonnait encore cet hymne à la fierté des "Gueules noires". C'était très étrange. Pendant les quelques semaines qui ont précédé sa mort, ma mère, de toute façon, ne s'exprimait plus qu'en chantant. Même les menus échanges du quotidien se faisaient sur fond de mélodie, et de même pour les rares conversations téléphoniques. Elle vient de s'éteindre, dans la nuit du 4 septembre dernier.
Pour lui dire au revoir, nous nous sommes rassemblés, nous qui pouvions être là, en ce mardi après-midi du 9 septembre 2014. Mais nous sentions la présence de tous ceux qui n’avaient pu venir en raison de l’éloignement, sa petite-fille, à Singapour, ses petits-fils au Sénégal, en passant par son autre petite-fille au Mans, ses neveux et nièces à travers l'Europe, les amis en Chine, ... tous nous accompagnaient pour dire au revoir à Simone, silhouette bien connue de Montceau-les-Mines, ville dont elle était si fière ! Montceau ! Sa ville ! L'enracinement familial. L’histoire de la mine et de ses luttes ! Une mentalité particulière, inégalée, qu’elle a revendiquée avec fierté toute sa vie. La Bourgogne. La rondeur de son accent. Ses r roulés qui la rendaient plus sympathique encore (selon un mot qu’elle affectionnait).
Elle fut la maman de Pierre, son petit dernier, de Nicole, sa fille cadette, qu’elle eut tant de peine à voir disparaître avant elle, et de moi-même, Chantal, sa fille ainée. Elle était l’heureuse grand-mère de Nicolas, Jean-Christophe, Fleur, Julia, Coline, Pauline, Julien et Kungwa, (que l’on me pardonne si j’ai interverti l’ordre de leur arrivée dans la famille) et l’arrière-grand-mère comblée de 14 arrière petits-enfants. Pour ses neveux et nièces, elle était la « Tata Simone ». Françoise et Claudine, mes cousines, lorsqu’elles étaient petites, l’appelaient, « la tata Pitone ». Pour sa sœur, Myrose, elle était tout simplement Simone. Si peu de gens vous appellent encore par vos prénoms lorsqu’on atteint, comme elle, un grand âge ! Elle aurait eu 94 ans au mois de décembre prochain.
Elle écrivait bien et nous a naturellement transmis son goût pour l’écriture, mais tant d’autres choses encore. L’art d’être gourmands, par exemple, devant ses œufs en meurette, ses daubes savoureuses, la pôchouse qu’elle faisait à merveille et le fameux canard en ballotine que Myrose et elle réalisaient pour nos réveillons d'autrefois.
C’était une inlassable conteuse . Elle nous a raconté à l’envi la légende familiale, du côté maternel, l’aïeule orpheline traversant seule l’océan à 15 ans, avec dans sa malle
une ceinture à la boucle couleur gorge de pigeon, (Cela nous a-t-il fait rêver cette boucle de ceinture !) et, du côté de son père, cette arrière-grand-mère corse au nom si musical : Romanetta Padovani…née à Ortale, au nord de la Corse dans un tout petit village de montagne…Elle nous a légué les très vieilles comptines familiales qui ont servi de génération en génération à endormir nos petits enfants et que je lui ai murmurées, sans être sure qu’elle pouvait m’entendre cependant, le jour-même où elle est partie.
Elle a fidèlement entretenu en nous le souvenir de parents qu’elle adorait : son père, Pierre Cottaz, fondateur du groupe symphonique à Montceau-les-Mines, dans les années 30, sa maman, Marguerite Lhorisson, si vivante et aimante, musicienne également et dont elle guettera la présence, à la fenêtre de sa cuisine, au premier étage de la maison de la rue Henri Chausson, longtemps, longtemps, après sa disparition…
De même, comment ne pas évoquer, sa passion pour le chant, sa belle voix qui depuis l’enfance, était appréciée de tous, son talent manuel également, broderies, peintures, crochet, elle a réalisé presque jusqu’à ses derniers jours d’innombrables napperons au crochet,
Il faut parler aussi de son enthousiasme jamais démenti à exercer le métier de sage-femme,
de son bonheur de jeune étudiante à Bourg lorsqu’elle a appris ce métier pendant la guerre, au sein d’une promotion très soudée: Céline, la maman de Guy qui deviendra donc ma belle-mère, Marie-Louise, qui sera ma marraine, Andrée, Odette, Ida, Simonnette, pour ne citer qu’elles, et dont Simone était avec Marie-Louise, à Autun, l’une des dernières survivantes.
Comment ne pas insister également sur son total désintéressement et sur son immense générosité. Un exemple : Un jour, lors d’un voyage en Afrique, elle rencontre Mme Mageregere, directrice d’une école primaire à Bujumbura au Burundi. Celle-ci doit se faire opérer d’un rein, mais c’est impossible sur place. Elle organise avec mon père une chaîne de solidarité, la fait venir à Montceau où elle sera opérée et passera sa convalescence, soignée par elle pendant plusieurs mois. C’était de plus, une incorrigible rebelle. Toujours prête à construire des barricades et à se battre pour les plus faibles et contre les injustices !
Anticléricale, résolument contre l'église "qui avait soutenu Pinochet, Franco et tant d'autres" disait-elle dans la lettre d'adieu rédigée à l'intention de sa famille, elle affirmait admirer le Christ en tant que philosophe vivant près du peuple. Elle nous étonnera jusqu'au bout par le force de ses convictions!
Sa gaité et son humour étaient contagieux, son dynamisme surprenant : (à 92 ans, elle conduisait encore et s’achetait une nouvelle voiture…pour faire une surprise, disait-elle !). Elle riait de bon coeur devant les cadeaux improbables, la joyeuse autruche offerte par ses petites-filles, juchée sur un dessus de plat et qui dansait lorsqu’on la remontait.
Mais surtout et par-dessus tout, ce que nous garderons en nous, c’est sa tendresse inépuisable dont nous avons tous bénéficié mais encore plus particulièrement ses deux petites-filles Julia et Pauline. Elles ont trouvé auprès d’elle, en le lui rendant bien, dès qu’elles le pouvaient, le réconfort et la compréhension sans failles dont elles avaient douloureusement besoin au cours des lourdes épreuves qu’elles ont traversées au moment du décès de Marie-Jo, leur maman, aimée de tous ; et plus tard encore, lorsque les événements leur faisaient éprouver l’envie de se réfugier auprès de leur grand-mère. Je sais que ce moment est difficile, particulièrement dur pour elles-deux et je voudrais leur témoigner le plus chaleureusement possible toute mon affection et l’affection de la famille entière qui les entoure.
Vint pour Simone, le dernier été. Cet été. Un été éprouvant, un été douloureux. Mais pour douloureux, pour éprouvant qu’il fût, ne devrait-il pas rester pour chacun d’entre-nous, un été lumineux ? Celui où enfants, petits-enfants, et même arrière petits-enfants l’ont entourée du mieux qu’ils l’ont pu, car c’est ce qu’elle aimait le plus au monde, être entourée des siens.
Longs voyages réguliers de son fils Pierre, depuis la Suisse, sa silhouette tendrement penchée sur elle,
dernière partie de cartes avec Auria et Luca, ses arrière petits-enfants, si surpris de pouvoir grâce à leur douceur et patience, lui réapprendre à jouer,
présence si réconfortante de Fleur arrivant de Singapour et lui caressant tendrement les cheveux alors qu’elle allait si mal au mois de juillet,
pensées des uns et des autres,
moments de partage avec Nicolas et Alison venus lui rendre visite,
rencontre avec Jean Christophe et toute sa famille autour d’un repas où nous avons longuement parlé d’elle,
visite de Kungwa à l’hôpital, profitant courageusement d’un instant où la maman qu’elle est, pouvait se permettre de prendre la route toute seule,
soutien indéfectible de Françoise et Michel qui ont rendu possible à Guy, à Pierre et à moi, nos aller et retour incessants, au chevet de maman tout au long de l’été.
Visite des amis de nos enfances, toute génération confondue, Graham, Uros, Corine, qu’elle a si souvent reçus autrefois. Mais aussi, gaité communicative de Julia au côté de sa grand-mère lorsqu’elle est venue et a conduit sa sœur jusqu’à son chevet.
Soutiens réguliers et fidèles de la famille Vilpoux, ses voisins, qui lui a pendant des années apporté son aide efficace et affectueuse.
Et la belle et longue amitié des uns et des autres, Marilène, Jean Mick, Pierre et Georgette, arrivant d’Alsace et dont la présence nous réconfortent tant aujourd’hui.
Et puis, enfin, toujours au cours de cet été, le vrai petit miracle réalisé par Pauline qui est restée une semaine au chevet de sa grand-mère, offrant tout son amour pour la ramener, sinon à une guérison durable, du moins à un état plus confortable et ceci, à force de chansons, de gestes de tendresse, de cuillerées de compote, de gorgées d’eau répétées, de respect et d’exigences vis-à-vis du personnel pour protéger cette grand-mère bien aimée.
Un été douloureux, un été éprouvant, mais un été lumineux, malgré tout, pour celle qui aimait par dessus tout être entourée de sa famille et qui l’aura été jusqu’au bout. Elle nous laisse aujourd’hui, tous, orphelins.
Photo de la malle empruntée au site "La malle en coin"