Achille-Etna Michallon (Paris, 1796-1822),
Une cascade au Mont-Dore, 1818
Huile sur toile, 41,3 x 56,2 cm, New-York, Metropolitan Museum
Il semble bien que la réhabilitation de George Onslow soit aujourd'hui une chose acquise si l'on en juge par les parutions discographiques qui lui sont assez régulièrement consacrées et par le festival en forme de consécration que lui dédiera le Palazzetto Bru Zane du 11 avril au 21 mai 2015. L'institution vénitienne vouée à la musique romantique française, qui a joué un rôle majeur dans ce retour en grâce d'un compositeur dont la redécouverte remonte aux années 1970, a apporté son soutien au disque documentant, sous les doigts d'Emmanuel Jacques et de Maude Gratton, ses Sonates opus 16 dans leur distribution originale pour violoncelle et piano.
Les grandes lignes de la biographie de ce fils d'un immigré anglais fixé en Auvergne au début des années 1780, ayant pris à Hambourg des cours de piano auprès de Jan Ladislav Dussek, puis de composition auprès d'Anton Reicha à Paris, sont maintenant bien connues. George Onslow fit une carrière originale, partageant son temps entre ses terres clermontoises à la belle saison et la capitale l'hiver, et se vouant presque exclusivement à la musique instrumentale, en particulier de chambre dont il laisse un catalogue conséquent, à une époque où l'opéra monopolisait l'attention des compositeurs, un succès dans le genre lyrique étant le seul à pouvoir adouber une carrière. Le fait qu'Onslow n'avait pas à composer pour assurer sa subsistance joua, bien entendu, un rôle déterminant dans l'orientation qu'il donna à sa production, mais il ne faudrait pas sous-estimer le goût qu'il pouvait avoir pour les domaines qu'il privilégia. N'apprit-il pas le violoncelle pour pouvoir pratiquer plus aisément la musique de chambre ?
Publiées par Pleyel en 1820, les Sonates pour violoncelle – cette partie pouvant également se jouer à l'alto – et piano opus 16 furent, comme bien des œuvres de leur auteur, accueillies avec beaucoup d'enthousiasme... en Allemagne, faisant même l'objet d'un élogieux compte rendu sur quatre colonnes dans l'Allgemeine musikalische Zeitung du 21 mars 1821 qui proclame en Onslow le digne héritier du classicisme et le désigne « parmi les maîtres de la musique instrumentale contemporaine vers lesquels se tourne la plus grande attention » comme celui à qui « doit revenir le premier et le plus haut rang. » De fait, c'est bien vers l'univers de Haydn et parfois de Mozart que semblent regarder la Sonate n°1 en fa majeur et la n°3 en la majeur, avec leur écriture transparente, leur netteté de trait et leur souci d'équilibre dans l'expression des passions, mais aussi un humour que n'aurait pas renié le maître d'Esterháza. L'ambitieuse Sonate n°2 en ut mineur choisit, pour sa part, de mettre résolument ses pas dans ceux de Beethoven, ne serait-ce que par le choix d'une tonalité dont on sait qu'elle était dotée pour ce dernier d'une énergie et d'une portée particulières, mais aussi par l'élan passionné, authentiquement romantique, qui la traverse en s'exprimant avec force dès les premières mesures abruptes qui ouvrent son Allegro espressivo liminaire, sans doute la page la plus impressionnante de tout le recueil par sa fougue, ses assombrissements et ses foucades. L'effusion n'est pas en reste dans ce trio d'œuvres et c'est peut-être, de manière assez inattendue, dans les deux sonates les plus « classiques » qu'elle est la plus perceptible. Les échappées rêveuses qui font volontiers songer à l'univers de Schubert dont l'ombre semble planer sur le magnifique Andante central en ré mineur de la Sonate n°1, subtilement chaloupé et à l'atmosphère toute de demi-teintes troublantes, ou le lyrisme contenu (mais pas corseté) qui baigne le bref Adagio de la Sonate n°3 sont deux très belles inspirations dans lesquelles s'exprime « un cœur qui éprouve de profonds sentiments » pour citer une nouvelle fois l'article de l'Allgemeine musikalische Zeitung, tandis que le tendre Adagio cantabile de la Sonate n°2 nous rappelle la capacité qu'avait Onslow à trouver des mélodies à la simplicité et à la fluidité immédiatement évocatrices.
Première, sauf erreur de ma part, sur instruments anciens, la lecture que livrent Emmanuel Jacques et Maude Gratton de l'opus 16 original est une indiscutable réussite, et ce à plus d'un titre. Le point le plus immédiatement perceptible est la maîtrise technique dont font preuve ces deux musiciens de la jeune génération des interprètes rodés à la pratique historique ; ils ont les moyens d'affronter sans frémir les exigences des partitions, en particulier la virtuosité de la Sonate n°2, et cette confiance justifiée en leurs capacités leur permet de se libérer complètement d'un point de vue expressif. Vous pensiez encore que la musique d'Onslow est une aimable bluette d'un classicisme un peu délavé et pas très intéressant ?Laissez donc ces deux interprètes qui en ont pris la pleine mesure vous démontrer à quel point ce n'est pas le cas. Ils vous feront entendre tout ce qu'elle a de palpitant, tout en n'oubliant pas de rendre justice à la qualité de sa construction – rendez-vous, pour ceux qui en douteraient, à l'Allegro espressivo de la Sonate n°2, tendu et mené de main de maître de la première à la dernière note –, et vous démontreront qu'elle n'est pas digne de la routine ennuyeuse dans laquelle certains ensembles qui, en dépit de leur talent, n'ont rien à y dire (le Quatuor Diotima, par exemple), parviennent à l'enfermer. Rien de tout ceci dans ce disque souvent enthousiasmant où les deux protagonistes, unis dans un véritable esprit chambriste fait d'écoute et de complicité et touchant des instruments aussi somptueux que parfaitement captés par Hugues Deschaux, avancent avec conviction, soufflant sur les braises des moments passionnés, n'hésitant pas à s'abandonner dans ceux de tendresse, soulignant chaque nuance avec précision et raffinement. Le violoncelle d'Emmanuel Jacques chante avec naturel et sensibilité, le pianoforte de Maude Gratton déploie autorité et ardeur, et tous deux s'entendent pour livrer une vision pleine de lyrisme, d'audace mais aussi d'intelligence de ces sonates d'Onslow qui y gagnent une telle allure qu'on se surprend à se demander pourquoi elles ne figurent pas plus régulièrement au programme des concerts.
En attendant qu'elles y gagnent la place qu'elles méritent, je vous recommande sans hésitation de leur faire une place dans votre discothèque et je suis prêt à parier qu'elles gagneront rapidement une place de choix dans vos écoutes et votre cœur. Puisse maintenant le duo formé par Emmanuel Jacques et Maude Gratton continuer à travailler ensemble pour nous offrir d'autre joyaux du répertoire romantique français — les sonates d'Alkan, de Chopin, de Lalo ou de Saint-Saëns n'attendent que lui.
George Onslow (1784-1853), Sonates pour piano et violoncelle opus 16, n°1 en fa majeur, n°2 en ut mineur, n°3 en la majeur
Emmanuel Jacques, violoncelle Jacques Boquay 1726
Maude Gratton, pianoforte John Broadwood & sons 1822
1 CD [durée totale : 62'47"] Mirare MIR 192. Incontournable de Passée des arts. Ce disque peut être acheté sous forme physique en suivant ce lien et au format numérique sur Qobuz.com.
Extraits proposés :
1. Sonate opus 16 n°1 : [II] Andante
2. Sonate opus 16 n°2 : [IV] Finale : Allegretto
Un extrait de chaque plage du disque peut être écouté ci-dessous grâce à Qobuz.com :
Illustrations complémentaires :
Pierre Louis Henri Grévedon (Paris, 1776-1860), George Onslow, 1830. Lithographie, 32 x 24 cm, Paris, Bibliothèque Nationale de France
La photographie d'Emmanuel Jacques et Maude Gratton (août 2010) est de Guillaume Mousson (http://gmbook.canalblog.com/)