Fin de partie au collège Henri IV pour les petits 3ème qui ne seront pas pris au lycée du même nom. Les résultats viennent de tomber, froids : il n'est pas rare que plus des trois quarts des élèves d'une classe de troisième apprennent, vers la fin de l'année, que le lycée dont ils partagent la cour n'a pas de place pour eux (j'ai oublié la savoureuse formule techno-bureaucratique dont on gratifie ces bannis).
Non que le collège accueille quatre à cinq fois plus d'élèves que le lycée, il s'agit juste de faire de la place pour de la chair fraîche plus présentable : le lycée aura la joie de priver les autres collèges parisiens, voire ceux de la proche banlieue, de leurs plus brillants bulletins.
Les élèves invités à aller se faire voir ailleurs ne sont pas mauvais, ils ne sont juste pas au niveau auquel s'estime H4.
Pendant que des enfants du quartier vont donc devoir apprendre, à 15 ans, à se vendre dans un autre lycée, après avoir apprécié leur valeur marchande ("suis-je assez bien pour Fénelon ou Lavoisier, ne devrais-je pas me restreindre à Montaigne ?..."), d'autres vont frissonner à l'idée d'entrer au paradis des futurs normaliens (xanax non fourni, mais un certain nombre d'élèves arrivent à s'en procurer).
La raison de ce comportement n'est pas simple. On peut dire de façon brute que les lycées qui se comportent ainsi cherchent à améliorer leur classement au palmarès des lycées (plus facile d'avoir 100% au bac en sélectionnant ses ouailles dès la 3ème). Cette stratégie ne fonctionne pas bien. Le lycée Henri IV n'est ainsi que 48ème lycée national selon le classement publié par l'Express, qui tient compte de la "valeur ajoutée" par élève (différence entre résultats attendus et résultats réels), et aussi des comportements d'écrémage (élèves "évacués" entre la seconde et la terminale, car présentant un risque d'échouer au bac). Cet écrémage n'est mesuré qu'à partir de la seconde, le classement ne semble pas tenir compte de l'écrémage massif qui s'effectue en fin de troisième, ce qui est fort dommage.
On peut aussi penser, de façon plus subtile, que les enseignants, les élèves, la mairie, les anciens élèves etc... sont ravis de participer du mythe du lycée parfait, de la moderne abbaye de Thélème - à droite comme à gauche, il serait sacrilège de toucher à ce symbole révéré (tellement de complicités pour l'admission à H4 au collège que certaines rues distantes de moins de 100 mètres de Henri 4 ont été rattachées à d'autres collèges, pour que H4 puisse accueillir une plus grande part d'élèves en dérogation).
*
Mmm... On s'en fout non ? Les malheurs de quelques gosses des beaux quartiers ont-ils la moindre importance politique ? Ne faut-il pas encourager une saine et républicaine émulation ? N'est-ce pas là preuve de la supériorité de l'esprit sur toute autre considération, la chance d'offrir à des élèves brillants mais issus de quartiers éloignés, le meilleur de notre enseignement ?
J'ai de gros doutes. D'abord parce que cette exception au principe général qui veut que les enfants d'un collège, sauf redoublement, aient accès automatiquement au lycée attenant ne me paraît pas bonne. Et je ne suis pas sûr que cela se déroule dans la plus grande transparence, ni que cela bénéficie en quoi que ce soit à des élèves défavorisés.
Ensuite, parce que ce qui se pratique dans ce qui est considéré comme le meilleur lycée de notre république ne peut pas ne pas avoir de retentissement sur l'ensemble de nos établissements. Je ne serais pas étonné d'apprendre que d'autres lycées de province adoptent le même comportement à l'égard des élèves issus de "leur" collège. Et l'ouverture de la carte scolaire instaurée par Sarkozy, sous les applaudissements de Ségolène, ne va qu'encourager à ce toujours plus de consumérisme éducatif.
Enfin, parce que je ne peux m'empêcher de faire le lien avec le stress au travail, très élevé en France, la consommation élevée de tranquillisants, le taux de suicide élevé en France... Un enseignement dont les valeurs reposent si fortement sur la sélection précoce et l'écrémage ne peut pas laisser des traces par la suite. Et les résultats de la Finlande, dans les enquêtes internationales sur les compétences des élèves, placent ce pays au premier rang pour la qualité de son enseignement. Alors que les élèves n'y sont pas notés avant 15/16 ans.
Bref, il y a à mon avis tout un tas de raisons qui font que le "massacre à Henri IV" ne ressort pas complètement du domaine de l'anecdote. Même s'il est parfaitement dans l'air du temps, sélectif et individualiste.
*
Sur la Finlande, cf. la note wikipedia sur le système éducatif finlandais. Aussi, une note de lecture sur "La fabrique des meilleurs", de Patrick Fauconnier. Et un texte de Catherine Baker, défendu par MC, intitulé Insoumission à l'école obligatoire, (je dois avouer ne l'avoir que parcouru rapidement, pas entièrement convaincu par l'argument général école=formatage, mais intéressé par quelques formules et remarques bien senties.)
LES COMMENTAIRES (2)
posté le 10 mai à 19:18
ah....un petit rageux qui s'amuse à critiquer les lycées juste parce qu 'il se fait chier..amusant
posté le 18 septembre à 23:19
Rancoeur et plaidoirie paradoxale... Monsieur Edgar, le massacre est-il d'y être ou de ne pas y être? That is the question...