Automne 1978, nord de la Californie. C’est l’ouverture de la chasse sur les deux cent cinquante hectares du ranch de Goat Mountain où un garçon de onze ans, son père, son grand-père et un ami de la famille, Tom (seul personnage nommé dans le roman), se retrouvent comme chaque année pour chasser. À leur arrivée, les quatre hommes aperçoivent au loin un braconnier qu’ils observent à travers la lunette de leur fusil. Le père invite son fils à tenir l’arme et à venir regarder. Et l’irréparable se produit.
Si il y a une chose dont on peut être certain quand on ouvre un roman de David Vann, c’est qu’on ne va pas se marrer, et là, je dois dire qu’il fait très fort, au point que je dois immédiatement prévenir les âmes sensibles, inutile de vous lancer dans l’aventure. Pour les autres, pincettes et gants chirurgicaux ne seront pas un luxe superflu.
Roman à la limite du soutenable dans des scènes et des situations hors du commun ; roman extrêmement fort et puissant sur le fond et les idées qu’il véhicule. On se souvient de la fin d’Apocalypse Now et Marlon Brando scandant « L’horreur, l’horreur…», avec ce roman nous y sommes. Le meurtre du braconnier n’est qu’un hors d’œuvre, il faut voir ce qu’il va advenir du cadavre de l’homme et ce sommet éprouvant quand l’enfant abattra son premier cerf, un carnage répugnant suivi du rite initiatique cannibale que je vous laisse découvrir. Sans parler des rapports de haine/amour/force qui vont s’établir entre les acteurs, les poussant à s’entredéchirer et plus encore quand ils devront décider de la conduite à tenir après le meurtre du braconnier. Et comme si les images n’étaient pas assez fortes, David Vann pousse le curseur à fond en développant ses théories ou ses interrogations sur la valeur de la vie humaine et sur l’acte de tuer, convoquant l’Ancien Testament avec Abel et Caïn dans ce qui s’apparente à un long délire mystique, faisant de ce bouquin l’ultime volet d’une cure psychanalytique étalée sur quatre romans, « Ce roman consume les derniers éléments qui, à l’origine, m’ont poussé à écrire : les récits sur ma famille et sa violence » avoue l’auteur dans sa postface. J’avoue ne pas être mécontent de savoir que l’écrivain va s’engager sur d’autres voies dans le futur.
J’ai été pétrifié durant la lecture de ce livre, les images sont horribles, l’écriture est hachée comme éructée, certaines phrases pas très claires, le propos provocant (pourquoi s’étonner d’un homme abattu mais pas d’un cerf ?), voire illuminé « En tuant le braconnier, j’étais comme David, défendant ma famille, notre terre et la loi. J’étais dans le camp de dieu. » Quelle part de l’animal subsiste dans l’homme ? Mais j’ai aussi été gêné par l’outrance globale, le grandguignolesque de certaines situations et la crédibilité douteuse d’autres qu’il ne faut pourtant pas prendre au premier degré, le bouquin devant se concevoir comme un drame antique ou une fable.
Roman extrêmement dur, portant un éclairage troublant et embarrassant sur les lois morales de nos sociétés.
« De profondes expirations, des renâclements dans la poussière, et il était comme embourbé là. Je voyais bien qu’une part de lui-même avait juste envie d’en finir, de s’étendre et d’attendre la mort. Une part de lui-même savait que c’était terminé. Je n’avais rien ressenti en tuant le braconnier, mais c’était désormais différent. Je voyais ce que ressentait le cerf, la catastrophe, une si grande perte, aucun espoir de s’en remettre, la fin d’une vie. Je ressentais cette fin. Nous chassons les grands animaux car ce sont eux qui nous ressemblent le plus. »