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Les lecteurs de la ville de Vincennes ont autant de goût que les professionnels enrôlés par le Festival America pour décerner les récompenses. Ceux-ci ont choisi Nickolas Butler pour le Prix Page/America. Ceux-là ont préféré Les douze tribus d'Hattie, d'Ayana Mathis pour le Prix des lecteurs de Vincennes. Bien joué...
Onze enfants et une petite-fille : ce sont Les douze tribus d’Hattie, premier roman
d’une Ayana Mathis qui, d’emblée, en impose par la maîtrise avec laquelle elle
traverse plus d’un demi-siècle, de 1925 à 1980, poussant devant elle une foule
de personnages dont aucun n’est mineur. Même pas les deux premiers enfants,
Philadelphia et Jubilee, morts ensemble à quelques mois. Ils resteront présents
dans l’esprit d’Hattie, et par le surgissement d’objets qui rappellent leur
courte existence – deux paires de petites chaussures, par exemple, les seules
qui n’auront pas été transmises d’un enfant à un autre.
A travers sa descendance, la romancière fait le portrait
d’Hattie. Noire, elle a quitté la Géorgie raciste où, cependant, les
températures étaient plus agréables que dans le nord. Elle passe sa vie à
rattraper les erreurs commises avec les jumeaux. Elle ne veut pas perdre
d’autre enfant et choisit, malgré elle, parce qu’elle ne peut pas tout faire,
de se battre pour un relatif confort matériel plutôt que de manifester son
affection. Celle-ci manquera à la plupart des membres de sa tribu qui voient en
Hattie une femme sèche, voire aigrie – tandis qu’elle ne comprend pas pourquoi
elle ne bénéficie pas, au moins, de leur reconnaissance. Entre elle et les
enfants, le malentendu est permanent.
Il n’est pas moindre dans sa relation de couple. August est,
pour le dire vite, un bon à rien, plus doué pour les sorties et la drague que
pour le travail. Mais, au contraire de son épouse, il est toujours joyeux et
apporte à la maison une fraîcheur bienvenue. Il acceptera même l’enfant
qu’Hattie a eu d’un autre homme avec lequel elle a connu la tentation du départ
définitif – mais elle ne peut laisser ses enfants et n’a pas tardé à faire
demi-tour.
Un gros paquet de frustrations pourrit l’existence
d’Hattie. Elle reste cependant, du début à la fin, une femme en lutte, jusqu’à
la dernière scène où « une étincelle
de son ancienne colère » la ranime, alors qu’on la croyait presque
éteinte. Cela ne change rien à son manque de tendresse. Mais sa force est
entière. Et généreuse.