d'après MADAME PARISSE de Maupassant
Une femme d’environ cinquante ans
Marchait devant nous d’un pas grave et lent,
Elle restait fort belle,
Un peu maigre mais belle.
Mon voisin, M. Parodi
Me dit :
-« C’est Mme Parisse, d’Antibes, vous savez ? »
-« Non. » -« La fille aînée des Doucet !
Elle épousa, un an avant la guerre,
M. Parisse, un petit fonctionnaire.
Elle était alors aussi sportive et gaie
Qu’elle est devenue triste et fatiguée.
Après la guerre, la ville n’a plus compté
Qu’un seul bataillon, commandé
Par un jeune officier,
M. Jean de Carlier.
Il rencontra Mme Parisse un soir d’été
Alors qu’il venait ici respirer l’air frais.
L’image de Mme Parisse,
Une Méridionale
Aux cheveux noirs et lisses,
Aux prunelles brunes, au teint pâle
Resta flottante dans les yeux de l’officier.
Les jours suivants, quand il la croisait,
Il lui souriait
Et la saluait,
Imaginant qu’il la connaissait.
Elle, surprise, s’inclinait,
Tout juste ce qu’il fallait
Pour ne pas être impolie.
Puis vint le prétexte d’une causerie.
Mais il voulait aller plus loin, le commandant.
Il la pressa de se rendre à son désir violent.
Elle résistait
Et semblait résolue à ne point céder.
Un soir pourtant, elle lui dit :
-« Mon mari est à Paris
Pour quelques jours.
Venez chez moi à vingt-deux heures. »
Mais, à dix-neuf heures,
Mme Parisse recevait ce télégramme :
’’ Ma chère femme,
Affaires terminées.
Je rentre par le train de neuf heures.
Je t’embrasse. À tout à l’heure.’’
Elle prévint aussitôt le commandant
De ce fâcheux contretemps.
Mais lui, il la voulait.
Il l’aurait.
Il lui fit porter ce pli :
’’ Ma chère amie,
Ton mari ne rentrera pas ce soir, et moi
Je serai à dix heures chez toi,
Comme convenu. Ne crains rien.
J’en réponds sur mon honneur d’officier.
À ce soir donc, si tu veux bien.
Jean de Carlier.’’
Il convoqua le capitaine Grémile :
-« Cette nuit, fais garder les portes de la ville
De façon à ce que personne,
Tu entends, personne
N’y entre avant demain six heures du matin. »
Quand M. Parisse descendit du train,
Sa valise à la main,
Trois soldats le firent entrer
Dans le salon des voyageurs :
-« Exercice militaire. Il est interdit
À quiconque de se déplacer.
Vous pourrez vous reposer ici. »
Le lendemain, peu avant six heures,
Carlier arrivait à la gare, saluait
M. Parisse, s’excusait de lui avoir fait passer
Une mauvaise nuit
Et l’autorisait à rentrer chez lui :
-« Vous comprenez, j’ai dû exécuter
Les ordres de ma hiérarchie, et strictement. »
En ville, les esprits s’affolaient.
On parla d’un débarquement allemand.
On évoqua une infiltration
D’espions Italiens.
On imagina un complot iranien,
Une conspiration, une révolution…
On devina la vérité bien après
Lorsqu’on apprit que Carlier
Avait été dégradé, muté en Algérie
Et sévèrement puni.