Épidémie d'Ébola en 2014: Appréhender la réalité grâce à la fiction

Publié le 13 septembre 2014 par Espritvagabond
Note: Il est rare que ce blogue commente directement des sujets d'actualités, mais en cette fin d'été, deux sujets sur lesquels j'ai déjà écrit m'interpèlent (l'Ébola étant le premier), d'où ce billet.
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Introduction
L'épidémie actuelle du virus Ébola en Afrique a poussé quelques médias à se demander si on devait craindre sa propension un peu partout dans le monde. Doit-on craindre l'Ébola?
L'Épidémie actuelle d'Ébola a débuté en décembre 2013 en Guinée, mais n'a été détectée officiellement qu'en mars 2014. L'Épidémie s'étend actuellement au Nigéria, Siera Leone, Libéria et, dernièrement, au Sénégal. En termes de nombres d'humains infectés et de nombre de décès, c'est la pire épidémie d'Ébola depuis la découverte de ce virus en 1976, au Zaïre. En fait, l'épidémie actuelle dépasse en nombre de cas et de décès le total de toutes les épidémies précédentes d'Ébola, et ce malgré un taux de mortalité plus bas que dans toutes les épidémies précédentes du virus.
Donc, oui, cette épidémie est sérieuse et oui, on doit craindre sa propension. Ce qui ne veut évidemment pas dire de paniquer en lisant ceci, confortablement installés dans votre salon en Amérique du Nord ou en Europe, les dispositifs et procédures sanitaires d'urgences en occident sont relativement développées et peuvent faire face à ce genre d'épidémie en minimisant son étendue... en principe, évidemment, puisque nous n'avons jamais fait face à a menace réelle d'Ébola (je parle du Québec et du Canada, par exemple).
On peut par contre se rabattre sur les oeuvres de fiction pour comprendre comment se déroulerait les événements en cas d'épidémie d'Ébola en occident.
Au fil des décennies écoulées depuis 1976, plusieurs oeuvres de fiction, littéraires et cinématographiques ont mis en scène des maladies causées par des virus dévastateurs, ou encore des épidémies, généralement contrôlées à des fins dramatiques. L'émergence du Virus d'Immunodéficience Humaine (VIH), causant le Sida, a contribué à la prolifération des oeuvres de ce genre depuis les années 80. L'émergence du VIH a aussi contribué à la conscientisation de la population face aux réels dangers que posent les virus.
Bref retour en 1997
En 1997, dans le cadre d'un article publié dans la revue Solaris (1), j'explorais les points communs entre réalité et fiction, en documentant nos connaissances sur le virus Ébola et en utilisant comme cas-type le roman The Stand (Le Fléau) de Stephen King, publié en version courte en 1978 et réédité en version intégrale en 1991. Lorsque Stephen King a publié The Stand pour la première fois en 1978, la réaction générale du public a été favorable au roman en tant que fiction, mais tous les lecteurs s'accordaient à dire que la situation décrite était fortement improbable, voire même impossible. Imaginer un virus aussi destructeur ayant la propriété d'être extrêmement contagieux, tout en se propageant par voie aérienne était tout bonnement trop effrayant. Sauf qu'en 1978, le VIH était méconnu, pour ne pas dire inconnu et le virus de King semblait relever du surnaturel. En 1991, lors de la réédition du roman, après une décennie marquée par le sida, l'aspect terrifiant du virus était moins perturbant, puisque des virus semblables paraissent nettement possibles aujourd'hui. Et de tels virus existent bel et bien, l'Ébola étant l'un d'entre eux et en fait aujourd'hui la preuve dans 4 pays d'Afrique. Ébola est d'ailleurs le plus terrifiant de ces virus.
Le virus de la Grippe A imaginé par Stephen King dans The Stand
Plusieurs éléments concernant le virus fictif mis en scène sont fournis dans le roman de Stephen King: symptômes provoqués, mode de transmission, degré de contamination et de mortalité, etc. Examinons donc ces données en détail.
Le virus de King semble être une mutation du virus de la grippe, qui est appelée «Grippe A», dans le roman. Il s'agit d'un virus aérogène, c'est-à-dire transmissible par voies aériennes, et qui comporte un degré de contamination de 99,4%. Bref, un virus très facile à transmettre d'un individu à l’autre. L'épidémie déclenchée dans le roman ne prend pas son origine dans un contact avec un réservoir naturel du virus. Il s'agit d'un virus étudié (ou créé) dans un laboratoire militaire. Un accident survient, un problème de sécurité, des réactions bien humaines, et voilà qu'un homme infecté se sauve, porteur du virus. C'est le «cas originel» du roman; le personnage du gardien Campion.
Campion demeure «négatif» pendant plus de cinquante heures. Il est parti du désert de l'ouest de la Californie et se rend sans trop de problèmes jusqu'à Salt Lake City. Deux jours plus tard, il arrive au Texas, où il s'arrête et meurt des suites de l'infection. Bien évidemment, Campion a infecté sa femme et sa fille, en plus d'un nombre incalculable de personnes sur sa route.
Les symptômes du virus inventé par King sont les suivants: un peu de toux et de migraine pour commencer, perte d'appétit, puis la toux devient plus sévère, accompagnée de sécrétions. La fièvre prend le dessus, le cou se gonfle, les yeux noircissent, le nez coule... Finalement, la respiration devient difficile, avec des gargouillis, «comme si quelque chose clapotait au fond de [la] poitrine», puis le patient décède. Le tout se passe rapidement. On peut le déduire évidemment du fait que Campion et sa famille sont morts en quelques jours, mais aussi par des descriptions du laboratoire militaire, où les gens sont morts assez vite pour être simplement demeurés un peu partout dans la base. Bref, ils sont morts sur place, très rapidement. L'autre exemple évident est celui de cette insoutenable scène dans le Tunnel Lincoln, où des centaines de gens sont morts dans leur voiture...
Avec un taux de contamination de 99,4%, le virus imaginé par King peut se propager très rapidement. L'épidémie qu'il a imaginée est crédible, compte tenu de la description de son virus.
Mais une telle mutation de la grippe est-elle possible? Peut-être. La grippe espagnole qui a fait de nombreuses victimes au début du siècle en est une preuve. Heureusement, elle était moins dévastatrice et se propageait moins rapidement que le virus de King. Sauf que la grippe n'est pas le seul virus pouvant être potentiellement mortel pour l'humain. Nous connaissons aujourd'hui une famille entière de virus qui atteint des taux de mortalité épouvantables; les filovirus, dont Ébola fait partie.
Il existe plusieurs souches (ou variétés) du virus provoquant la fièvre Ébola; la souche originalement identifiée comme Ébola Zaïre porte aujourd'hui le nom de virus Ébola, et c'est elle qui fait actuellement les ravages qui font la manchette quotidiennement. Dans des épidémies précédentes, le virus Ébola était mortel pour 90% des humains infectés. La variété Soudan tuait quand à elle 60% des gens infectés. Bref, Ébola est un fléau éradicateur presque digne du roman de Stephen King.
Les symptômes de la fièvre Ébola ressemblent également à ceux mis en scène par King dans son roman en 1978. En fait, Ébola démolit d'abord le système immunitaire (comme le fait le VIH). Sauf que l'Ébola est cent fois plus rapide. Une fois le système immunitaire mis k.o., le virus a la voie libre pour se multiplier à une vitesse effroyablement destructrice. Même s'il s'y prend différemment, la destruction du système immunitaire que le sida met dix ans à accomplir, L'Ébola l'accomplit en dix jours.
D'où vient l'Ébola?
Toutes les recherches indiquent que la forêt vierge d'Afrique abrite les réservoirs naturels de l'Ébola. Ces réservoirs peuvent être n'importe quel organisme vivant, des unicellulaires (quoique ce soit peu probable ici) aux vertébrés, en passant par les insectes. Il y a des dizaines de milliers d'espèces dans ce coin du monde. Ça complique la recherche. Actuellement, plus de 3000 espèces animales et des dizaines de milliers d'insectes font l'objet de recherches fouillées. Géographiquement, les recherches ciblent la région du mont Elgon, près de la vallée du Rift. (Il est ironique que l'organisme qui pourrait pratiquement éradiquer l'humain de la planète a ses origines dans un endroit voisin de celui des origines de l'humain...).
Bref, en plus de ne pas connaître l'hôte principal, on ne sait pas précisément où chercher ce réservoir. Des expéditions passées ont échoué dans des recherches semblables. Les résultats n'ont pas été publiés.
Mais même si l'on est incapable de le voir venir, l'Ébola surgit de nulle part et frappe périodiquement.
Les épidémies
Dans The Stand, Stephen King nous brosse une épidémie dévastatrice. L'élaboration littéraire de son épidémie est une brillante démonstration de la propagation d'un virus tel que celui mis en scène par King. Un virus à haut taux de contamination et qui tue rapidement.
Dans le roman, Campion est le cas initial de l'épidémie (oublions les autres personnes contaminées et mortes à l'intérieur de la base militaire, Campion ayant été le seul à sortir avec le virus). Il contamine, entre autres, le petit groupe d'amis de la station-service d'Arnette, Texas, groupe qui comprend le propriétaire, Hapscomb. Le lendemain, le cousin du propriétaire, Joe Bob, se pointe à la station pour être contaminé par Hapscomb. Ce cousin est policier et il traverse la moitié du Texas... Et voici comment King décrit le processus de contamination:
«Le 18 juin, cinq heures après avoir parlé à son cousin Bill Hapscomb, Joe Bob Brentwood arrêta une voiture (...) Il s'agissait de Harry Trent de Braintree, agent d'assurance. (... ) Et il donna à Harry Trent beaucoup plus qu'une simple contravention. Harry Trent, un homme sociable qui aimait son travail, transmit la maladie à plus de quarante personnes ce jour-là et le lendemain. (...) Le 19 juin, Harry Trent s'arrêta pour déjeuner chez Babe's Kwik-Eat, dans l'est du Texas (...) il infecta Babe, le plongeur, deux routiers, le livreur de pain (...) Quand il sortit, une voiture arrivait, remplie à craquer d'enfants et de bagages. (...) Plaque de New-York. Le conducteur avait baissé sa vitre pour demander à Harry (...) Le NewYorkais était Edward M. Norris, lieutenant de police. (...) Ils passèrent la nuit dans un motel d'Eustace, dans l'Oklahoma. Ed et Trish infectèrent la réceptionniste. Les petits (...) infectèrent les enfants qui jouaient sur le terrain de jeu du motel — des enfants qui se rendaient dans l'ouest du Texas, en Alabama, en Arkansas et au Tennessee. (...) Aux petites heures du matin, Trish réveilla Ed pour lui dire que Heck, le bébé, était malade. (...) À deux heures de l'après-midi, ils étaient dans la salle d'attente du docteur Brenden Sweeney. Ed avait commencé à éternuer lui aussi. La salle d'attente était pleine. (...) dans la salle d'attente, ils transmirent la maladie (...) à plus de vingt-cinq personnes, dont une solide matrone qui était simplement venue payer ce qu'elle devait au médecin. Avant de transmettre la maladie à tous les membres de son club de Bridge. (...) Cette solide matrone était Mme Robert Bradford, Sarah Bradford pour ses amis (...). Elle et Angela allèrent prendre un verre (...) elles réussirent à infecter tous ceux qui se trouvaient dans le bar dont deux jeunes hommes (...). Le lendemain, ils repartirent en direction de l'ouest, en répandant la maladie sur leur passage. Les réactions en chaîne ne sont pas toujours faciles à amorcer. Celle-ci ne se fit pas prier. (...) Sarah rentra chez elle pour infecter son mari, ses cinq amis qui jouaient au poker avec lui, et leur fille, Samantha (...). Le lendemain, Samantha allait infecter toute la piscine de Polliston. Et ainsi de suite.»
Les épidémies ne sont que ça: des réactions en chaîne. Elles sont aussi étendues que le permettent les conditions, dont le taux de contamination et le mode de transmission. Ainsi, il s'est produit plusieurs épidémies d'Ébola au fil des années...
La première épidémie connue d'Ébola a eu lieu au Zaïre, en septembre 1976. L'épidémie a débuté dans un hôpital de mission, à Yambuku. L'Ébola s'est déclaré presque simultanément dans 55 villages de la région. 280 personnes atteintes, avec un taux de mortalité de 90%. L'Ébola devenait alors le micro-organisme le plus «mortel» après la peste bubonique. L'épidémie a été contenue par des mesures de quarantaine très sévères. Le virus disparut complètement sans que l'on ne sache d'où il était venu. On baptisa le virus Ébola, du nom d'une rivière affluent du fleuve Congo, tout près de «l'épicentre» de l’épidémie.
L'épidémie suivante a eu lieu au Soudan, toujours en 1976. Une souche légèrement différente, et moins virulente, avec un taux de mortalité de 60%. Puis, une autre épidémie au Zaïre en 1977, puis de nouveau au Soudan, en 1979. À chaque occasion, la seule solution fut la quarantaine. On place les patients en isolement complet et on attend! La majorité meurent, les autres survivent. Le virus, une fois l'hôte mort, ne survit pas très longtemps. Fin de l'épidémie. Par la suite, quelques cas isolés seulement, jusqu'en 1990.
C'est en effet au moment de la sortie du film Outbreak à l'été 1995 que, comme pour narguer les humains, l'Ébola frappa encore une fois. Et cette fois, c'est bien l'Ébola Zaïre. Le virus infecta 315 personnes. 244 moururent. La baisse du taux de mortalité est due à un traitement au sérum sur plusieurs victimes. Le traitement au sérum d'Ébola Zaïre semble donc atténuer l'impact du virus et c'est depuis cette épidémie que l'on utilise ce genre de traitement pour tenter de sauver les personnes infectées.
D'autres apparition d'Ébola ont depuis été contenues; Côte d'Ivoire, Gabon, Ouganda, on a même eu des cas de primates infectés aux Philippines et en Chine, mais par une souche (Reston) quasi inoffensive pour l'humain.
Conclusion
Après avoir pris connaissance des manifestations de l'Ébola parmi les humains, on peut relever quelques remarques intéressantes. Tout d'abord, on remarque que l'incroyable virulence d'Ébola nuit à son amplification dans la population humaine. En effet, le virus tue tellement vite que la contagion n’a pas le temps de se propager largement. Cet élément est important car il permet de contenir le virus par des mesures de quarantaine efficaces. Les procédures de quarantaine appliquées jusqu'à présent sont donc de plus en plus efficaces pour limiter ou empêcher la propagation du virus loin du center de l'épidémie. Par comparaison, le VIH s'est propagé lentement mais sûrement parmi toute la population mondiale et l’amplification se poursuit toujours. On remarque que c'est d'ailleurs un des problèmes majeurs de l'épidémie de 2014; la difficulté de contenir la propagation par la quarantaine, en grande partie à cause de résistance locales et culturelles ou par un manque d'éducation ou de confiance de la population locale face aux autorités ou aux ONG qui tentent d'intervenir.
En 1997, je mentionnais que «l'Ébola est une forme de vie qui existe depuis très longtemps. Il est fort possible que l'Ébola survivra à l'humanité sur Terre. En fait, c'est peut-être l'organisme qui causera la disparition éventuelle des humains. Ce ne serait certainement pas la première fois qu'un virus de ce type cause la disparition d'une espèce».
Sans devoir paniquer pour autant, je vous invite à voir (ou revoir) l'excellent film du cinéaste Steven Soderbergh (sortie en 2011), Contagion, certainement l'oeuvre de fiction la plus crédible sur une propagation de virus mortel dans une société occidentale qu'il m'ait été donné de voir. Le film montre bien comment fonctionne la contagion, quelles sont les procédures en place dans les pays occidentaux pour y faire face le cas échéant, et comment ce genre de suivi et de quarantaine est essentiel pour arrêter le virus. Il n'y a généralement que deux autres moyens de voir la fin d'une telle épidémie; soit le virus contamine tout le monde et ne laisse que les survivants sur son passage, soit qu'à force de subir des mutations, il fini par s'amenuiser de lui-même en effectuant une mutation ou un changement qui défavorise sa propagation.
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(1) Cet article est une adaptation de Virus: Réalité et fiction dans The Stand, de Stephen King, Solaris 122, été 1997.