La principale semble bien être l'UDC. On sait que ce parti attise les antagonismes pour assurer son propre pouvoir, que sa stratégie consiste à dresser le peuple contre les élites. Meizoz s'interroge sur l'usage qui est fait de l'art, dans le combat du parti agrarien.
Il examine les représentations d'Anker, le peintre favori de Blocher, qui diffuse une imagerie de kitsch nationaliste et de communauté rurale chaleureuse. C'est la culture des groupes folkloriques, du costume national et des chorales d'amateurs censées incarner ou représenter une identité chère à l'UDC.
Ce parti n'est d'ailleurs pas seul à irriter Meizoz. De façon plus globale, ceux qui jettent de l'huile sur le feu et avivent la haine l'exaspèrent. Il aimerait « inciter au calme les excités médiatiques ». Dans ces provocateurs qu'il vise, il y a par exemple Maître Bonnant, dont Meizoz soupçonne le masochisme caché et l'envie délicieuse de déplaire pour se faire fesser.
Il y a d'autres choses à faire que subir leurs discours, affirme notre auteur. La réaction est possible. Une réaction citoyenne de la parole. Celle même que Meizoz pratique dans son recueil.
Un deuxième grand axe de son livre touche au domaine de la littérature, abordée surtout sous l'angle sociologique. C'est un royaume, explique Meizoz, où règnent désormais les attachés de presse, qui désignent aux journalistes les quatre ou cinq bouquins dont il faut parler. Et tout le monde suit. La loi du marché a imposé le triomphe de M. Homais.
Du coup peut dominer le révisionnisme littéraire qui vise à purger par exemple les biographies de Cendrars de ses tentations antisémites. Du coup également, les stratégies planifiés de promotion ou de scandale peuvent s'installer.
Pour le montrer, Meizoz s'attarde sur l'affaire Richard Millet. On se souvient que Millet avait écrit un Éloge littéraire d'Anders Breivik. Son but était de provoquer un tapage littéraire bien agencé dans lequel il entendait prendre la place de la victime, du bouc émissaire honni de tous. Une stratégie à la Céline, qui devait donner à Millet la place éminente qu'il convoitait et n'arrivait pas à atteindre par ses publications...
Autre analyse de Meizoz, celle du roman En finir avec Eddy Bellegueule, d'Edouard Louis, qu'on peut lire, affirme-t-il, comme une « ode (à l'insu de son plein gré) aux valeurs culturelles de la bourgeoisie ». L'auteur y misérabiliserait son milieu modeste et le massacrerait symboliquement. C'est en tout cas ce qu'un libraire spécialisé lui a reproché.
Un comportement auquel Meizoz est sensible. L'éducation, la question des élites, les valeurs qu'on sacrifie dans l'ascension sociale sont des thèmes qui le touchent de près, lui, le fils de mécanicien qui a rencontré les rejetons des bonnes familles genevoises ou vaudoises au collège de St-Maurice.
Mais il n'y a pas que des dénonciations dans ces textes, inédits ou publiés d'abord entre 2007 et 2014 . Ils se terminent par une belle célébration d'Henry Roorda et de la littérature. « Qu'une telle personne ait existé constitue un fort argument contre le pessimisme. Qu'elle se soit donné la mort en fournit un non moins solide contre l'optimisme. Match nul. Avantage : littérature. »
Jérôme Meizoz, Saintes colères, éditions d'autre part