d'après ROSALIE PRUDENT de Maupassant
La fille Prudent, Rosalie,
Bonne chez les époux Rémy,
Devenue grosse à l’insu de ses patrons,
Avait accouché, il y a un an
Puis tué et enterré son enfant.
Lorsque l’on entreprit la perquisition
Dans la chambre de la fille Prudent,
On découvrit un trousseau d’enfant.
On apprit aussi
Que la sage-femme du pays,
Avait donné des conseils à Rosalie.
Aux assises, les Rémy
Se montrèrent exaspérés
Par leur employée : cette trainée
Avait souillé leur appartement !
Ils auraient voulu la voir guillotiner
Tout de suite, sans jugement
Et ils l’accablaient
De haineuses dépositions,
Devenues dans leur bouche des accusations.
La coupable, Rosalie,
Une grande et belle fille de Normandie
Pleurait
Sans arrêt.
On était réduit
À croire qu’elle avait accompli
Son acte barbare dans un moment de folie
Puisque tout indiquait
Qu’elle avait espéré garder
Et élever son fils.
Le Président lui demanda :
-« Quel est le père de votre enfant ? »
(Jusque-là elle s’était tu obstinément.)
-« C’est monsieur Lucas,
Le neveu à monsieur Rémy. »
Les deux époux eurent un sursaut
Et crièrent : -« C’est faux !
Elle ment. C’est une infamie. »
Le Président les fit taire et reprit :
-« Continuez, je vous prie,
Et dites-nous comment cela est arrivé. »
-« M. Lucas, un beau et jeune sous-officier,
Est venu en congé chez les Rémy l’an dernier.
Il resta tout le mois de juillet.
Un jour, il s’est mis à m’ regarder
Et puis à m’ dire des flatteries
Et puis qu’ j’étais jolie.
Il m’ cajolait
Tant que le jour durait.
Il m’ répétait q’ j’étais de son goût.
Il était beau et tendre
Et moi, je me suis laissé prendre.
Il m’ plaisait pour sûr…Que voulez-vous ?
On écoute ces choses quand on est seule
Comme moi,…toute seule.
Je n’ai plus personne sur terre
Ni père, ni mère,
Ni sœur, ni frère !
Ça m’a fait comme un frère
Qui s’rait r’venu et qui m’ causerait.
Et puis, un soir, il m’a demandé
D’aller s’ promener…
Je sais-t-i’ après ?...
J’ voulais pas…non, mais j’ai pas pu…
Il a fait c’ qu’il a voulu…
Il est parti à la fin du mois.
J’ savais pas qu’ j’étais grosse, moi !
…Je n’ l’ai su qu’après… »
-« Continuez, s’il vous plait. »
-« Quand j’ai vu qu’ j’étais grosse,
J’ai prévenu la sage-femme, Mme Brosse.
J’ai fait mon trousseau
Et puis j’ai cherché un aut’ boulot
Car j’ savais que j’ serai renvoyée
Mais j’ voulais rester chez les Rémy jusqu’au bout
…Pour économiser mes sous,
Vu qu’ pour l’ petit, il m’en faudrait. »
-« Donc vous ne vouliez pas tuer votre bébé ? »
-« Oh ! Non. Pour sûr, non, m’sieur. »
-« Pourquoi alors l’avez-vous tué ? »
-« V’là la chose, m’sieur :
C’te nuit-là, mes patrons étaient endormis.
Moi, j’ me suis couché sur l’ carreau
Pour ne point gâter mon lit.
Et puis, j’ l’ poussais, bien à propos.
J’ai senti qu’il sortait.
J’ l’ai ramassé.
J’ai fait tout c’ que Mme Brosse m’avait dit.
Et puis, j’ l’ai posé sur mon lit.
Mais v’là qu’il me r’vient une douleur
Et qu’ ça dure p’t-être une heure.
Et puis il sort un autre p’tit.
Deux ! Oui, comme ça,…deux !
Le second, j’ l’ai mis sur le lit aussi.
Ils s’ trouvaient côte à côte… tous deux !
Est-ce possible, dites ? Deux enfants !
Moi qui ne gagne que vingt francs.
Dites…est-ce possible ? Un, oui, ça s’peut,
En s’ privant…mais pas deux !
Ça m’a tourné la tête. Est-ce que j’ sais ?
J’ pouvais-t-i’ choisir ? Dites-moi.
Sur les deux, j’ai appuyé l’oreiller d’sus.
Et j’ai attendu.
J’ pouvais pas en garder deux, moi.
Quand ils étaient morts, j’ les ai pris.
J’ai sorti dans l’ potager.
J’ai saisi la bêche au jardinier
Et j’ les ai enfouis,
Un, ici ; puis l’autre, là.
J’ suis prête. Faites ce qu’i’ vous plaira. »
Le président interrogea :
-« L’autre,…où l’avez-vous enterré ? »
Rosalie demanda :
-« Lequel que vous avez trouvé ? »
-« Mais…celui...qui était sous le prunier. »
-« Eh ben ! L’autre, il est dans les fraisiers. »
Rosalie se mit à sangloter.
Elle fut acquittée.