Préface du livre d’Hubert : Moi, Le Fromage Et Vous ?

Par Hubjo @conseilresto

Ce livre autobiographique du Chef Hubert ventant le fromage et le chemin parcouru par Hubert pour devenir cuisinier a été préfacé par Robert Courtine et publié en 1982 aux éditions Dargaud.

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« L’homme préhistorique se nourrissait de ses cueillettes, de sa pêche et de sa chasse, matériaux et produits qu’il dévorait tels. Crus.
On est convenu de dire que la cuisine date de la découverte du feu, qui a permis la transformation des aliments.
Mais sans besoin du feu on doit admettre que le fromage est une transformation du lait. Il est donc, en quelque sorte, une première forme de la cuisine.
Et ceci me paraît important. Pour lui redonner toute sa place, une place quelquefois mesurée.
Sans doute, les diététiciens, ces raccommodeurs des empiriques découvertes du bon sens, savent et disent les mérites du fromage, cet aliment protéinique complet. Riche en protéines, matières grasses, vitamines 1, B1, B12, C, en sels minéraux, en calcium, il est « de tous les âges et pour tous les états physiologiques » selon le mot de Lucie Randoin. Eh bien, malgré cela, le fromage me semble mal considéré. Il était de bon ton, naguère, de ne le pas faire figurer dans les dîners. Et si on le sert, à l’Elysée, dans les grands repas de réception, du moins n’était-il pas indiqué sur le menu. Vergogne que, je crois bien, Vincent Auriol fit un temps cesser. Elle réapparut sous Giscard. Aujourd’hui je ne sais.
On n’ose pas, au restaurant, présenter au client de ces fromages forts et forts bons, comme la boulette d’Avesnes, le munster (fermier, bien sûr, le seul digne du gourmet !), et, en Belgique, le Herve, ce chef-d’oeuvre ! »

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« Enfin, les menus à prix fixe s’entêtent à nous laisser le choix : fromage ou dessert. Comme si le fromage n’était pas « le premier des desserts » selon la formule célèbre. Et surtout comme si un repas sans fromage n’était pas un repas amoindri, amputé : la belle borgne de Brillat-Savarin !
En ce livre Hubert vous parle du fromage.
Il vous parle aussi de lui qui s’était cru destiné à tout autre métier. Seulement, voilà, Maman en vendait, du fromage ! Et le fromage, si j’ose écrire, était penché sur son berceau, discret mais présent, inoubliable. Il sut, à temps, se rappeler à lui : au contraire du corbeau de la fable, le fromage, lui, ne lâche jamais sa proie.
Donc Hubert vendit du fromage.

Mais pour le vendre bien il faut l’aimer. Et l’on apprend à l’aimer en vivant avec lui car le fromage est un être vivant. Comme le vin dirait un vigneron. Comme le pain dirait Lionel Poilâne.
Un être vivant cela naît, cela s’élève, cela meurt, aussi, hélas ! Et sa vie est fonction de sa naissance puis des soins qui lui ont été donnés en sa jeunesse, de la façon dont il a été élevé. Hubert apprit les naissances des fromages, Hubert apprit à les élever (on dit, dans le métier, affiner, mais c’est tout comme !). Il s’installa rue de Tocqueville. On me parla de lui. J’y fus.
Il avait déjà l’enthousiasme du métier et la fougue un peu débridée de sa jeunesse. Il croyait qu’en roulant un fromage dans je ne sais quel artifice on en fait une nouveauté. C’est vrai du côté de chez Snob. C’est idiot du côté du gourmet. Je l’écrivis.
Puis, courant de la rue de Tocqueville au marché de Neuilly, voici qu’il ouvre, rue des Dames, une boîte à fondues et à raclettes. J’y cours…
Il est tôt (je suis de ceux qui se mettent à table à midi et à sept heures). Je suis seul. Dans la première salle une dame joue à la bataille avec une petite fille hurleuse. La serveuse m’a apporté la carte. Elle revient vers moi :
- Que désirez-vous ? »

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« - Qu’on fasse taire cette môme ou qu’on l’emporte.
- Mais, Monsieur, c’est la fille du patron !
- Et alors ?
Je ne vis pas Hubert, cette fois-là, pas plus que je ne l’avais vu à la boutique, mais je n’entendais pas m’en faire un ami. Encore moins un fournisseur.
Ne me demandez pas ce qui a changé de lui ou de moi ?
Les deux probablement. Et puis il abandonné les faux fromages. Et puis sa fille a grandi. Elle est charmante aujourd’hui. Et pui…et puis… il est devenu cuisinier !
Comment devient-on cuisinier ?
En cuisinant, sans doute, et vous lirez ici comment, fournisseur de grands cuisiniers. Hubert, petit à petit, les regardant travailler, les aidant quelquefois, gâte-sauce improvisé lors de leurs prestations extérieures, a fait « ses classes ».
Mais aussi, qu’on se le dise dans les Ecoles Hôtelières et chez les apprentis, on devient cuisinier par amour.
Car la cuisine, on l’a dit souvent, on ne le répétera jamais assez – et ce devrait être leçon pour les petits maître de la Nouvelle Cuisine, les copieurs et les bluffeurs – la cuisine est Amour. Avec un grand « A ».
Autrement on ne devient pas cuisinier. Sur la fin de sa vie Brillat-Savarin méditait de corriger son aphorisme. On naît rôtisseur, on naît saucier, on naît cuisinier. Hubert est né cuisinier. Et ne me dites pas qu’il est autodidacte, d’un air dégoûté : en ces temps où l’enseignement se dévalue jusqu’au néant, ce ne peut être qu’un compliment !
Passons.
Voilà donc ce sacré Hubert, quittant sa nouvelle boutique de la rue Vignon (et, entre parenthèses, laissez-moi vous dire qu’elle est en bonnes mains avec Henry Voy qui s’est révélé, depuis, le meilleur maître-fromager de Paris) ouvrant « son » restaurant. Il y fallait du courage mais aussi, soyons net, du culot. Moins pour réussir son ouverture que pour durer. Le factice, à Paris, dure rarement. Ceux qui sont venus place du Marché Saint-Honoré, au »

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« début, ont peut-être « panurgé ». A présent, ceux qui reviennent le font en connaissance de cause. Ce ne sont plus les « papiers » des chroniqueurs qui font le succès mais ce qu’il y a dans l’assiette.
Les recettes au fromage ? Il y en a peu à sa carte. Sans doute pour les mêmes raisons évoquées au début : les Français mangent de moins en moins de fromage et, surtout, le considèrent un peu comme un supplément familial. Disons-le tout net, à part les connaisseurs et les amateurs, ils n’ont pas le respect du fromage.
La faute en est peut-être – que dis-je peut-être ? Sûrement ! – aux usiniers. Les fromages artisanaux pouvaient être le meilleur ou le pire. Les fromages industriels ne sont JAMAIS le meilleur. C’est la démocratie fromagère, l’uniformisation, par le médiocre.
Il n’empêche que le fromage, en cuisine, et curieusement, se rencontre plus souvent dans le folklore que dans le présent, et à l’étranger que chez nous.
Il faut se méfier des idées reçues. En matière de fromages il en est deux, dévastatrices.
La première est celle de la supériorité des fromages français. On a dit :  » Un peuple qui produit 180 variétés de fromage ne peut pas mourir ». « On » c’est-à-dire, suivant les sources, Jean Cocteau, Churchill ou de Gaulle. En vérité, ils avaient eu un précurseur : Emile Bergerat qui, en 1914, dans Glanes et javelles rimait :

Un peuple ne meurt pas qui fait de tels fromages
Que Virgile, s’il les aût connus, eût bénis.
Gallophobes, passez et mâchez nos dénis.
L’homme juste leur rend hommages sur hommages.

Seulement, s’il est vrai que nous produisons une plus grande variété de ces fromages nous ne pouvons réclamer la supériorité de la qualité : un Stilton anglais vaut largement nos bleus, le vrai gruyère du canton de Fribourg est un chef-d’oeuvre, etc.
La seconde est que le fromage, éperon à boire (« Cotignac de Bacchus » disait Saint Amant), doit appeler les »

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« grands vins. Au contraire et puisqu’il fait supporter le moindre reginglard, il tue les grands crus. Choisissons donc pour l’escorter le vin de son terroir (ils sont nés ensemble) et, lorsque j’écris le vin c’est faire tort au cidre savoureux sur un camembert, à la bière indispensable sur un munster.
Oui, en feuilletant les ouvrages, les répertoires de recettes, on s’aperçoit que la cuisine au fromage est souvent le fait des cuisines étrangères. Ou, en France, de recettes régionales, du terroir.
C’est peut-être dommage et ces imitateurs à la mode toujours prêts à ajouter deux kiwis à leur effeuillée de je ne sais quoi et un petit air de mangue à leur poisson rose à l’arête, feraient mieux de chercher, de créer des plats au fromage, nourrissants, savoureux, d’un bon rapport qualité-prix.
Voici donc ce livre.
Hubert l’a écrit timidement. Mais avec passion.
Je voudrais que vous soyez, comme moi, persuadés qu’il méritait de l’écrire. Parqu’il est témoignage. Parce qu’il montre qu’il avait quelque chose à dire.
Et que ce quelque chose nous apporte quelque chose.
L’appétit de lecture est – aussi – une chose qui se perd, hélas !
Il n’importe, livre en main, je vous bon appétit !

COURTINE »