Yann et Sylvestre sont deux jeunes pêcheurs bretons. Mais pas n’importe lesquels: ils font partie de ces pêcheurs qui partent la moitié de l’année dans les mers froides et dangereuses de l’Islande. Et que leurs familles attendent, des mois durant, dans l’angoisse. Ces deux-là sont plutôt proches: Sylvestre doit prochaînement épouser la soeur de Yann. Un hiver, la jeune Marguerite, dite Gaud, une cousine de Sylvestre revenue de Paris où son père a fait fortune, assiste au retour de ces marins si populaires. Elle remarque immédiatement Yann, le plus grand, le plus fort, celui qui se targue que ses noces se feront avec la mer, pas avec une femme.
Le titre ne donne vraiment pas envie et pourtant, c’est là une des plus belles histoires d’amour que j’aie lu. Le fil conducteur en est bien sûr la relation compromise entre Gaud et Yann. D’abord parce que pour ce peuple de pêcheur, la demoiselle venue de la ville avec sa nouvelle richesse, même si elle est une fille du pays, est plutôt tenue à l’écart. Mais surtout, compromise par la vocation de Yann, la mer qui l’attire et l’entraîne au loin. Inévitable lorsqu’on parle de la mer (même Renaud l’a fait dans sa chanson sur la mer qui prend l’homme), l’amour n’est pas de taille à lutter contre cet attrait. Dans ces longues réflexions mélancoliques où Gaud se demande ce qu’elle a fait pour que Yann reste si distant avec elle, alors qu’elle a bien vu lorsqu’il a dansé avec elle qu’il ne la laissait pas indifférent, alors que tout le monde les trouve si bien assortis, s’opposent sans cesse son univers parisien et l’appel du large.
Le destin de Sylvestre n’en est pas moins touchant. Il n’a que dix-sept ans au début du roman et espère avec tendresse voir sa chère Gaud se rapprocher de son meilleur ami. Mais il est surtout le petit-fils chéri de sa grand-mère, qui a déjà vu tant d’hommes de la famille engloutis par le large. Leur duo est particulièrement touchant, surtout lorsque le devoir rattrape Sylvestre et qu’il doit partir servir dans l’armée quelque part en Asie. Comme si la mer d’Islande n’était pas un danger suffisant…
Bien évidemment, le coeur du roman, c’est cette lointaine mer d’Islande dont on ne verra que les brumes, le gris, avec une sobriété qui la rend glaçante puisqu’on s’attend à tout moment à voir surgir un vaisseau fantôme, dont les habitants ont déjà été engloutis par l’infini. Mais plus encore que les pêcheurs eux-mêmes, c’est le sort de ceux qui les attendent qui m’a marqué, l’angoisse permanente où la moindre lettre met des semaines à arriver, quand elle arrive. Un thème classique de la littérature marine, traité avec efficacité.
La note de Mélu:
Une très bonne surprise.
Un mot sur l’auteur: Pierre Loti (1850-1923) est un auteur français qui a mené en parralèle une carrière d’officier de marine.