Interpol - El Pintor
Don’t believe the hype. La critique musicale puis la Doxa décident trop souvent du sort d’un album. Et face à ce phénomène, trois attitudes possibles : lire ou écouter ce qu’en disent les autres, avant, après ou jamais.
Avant, c’est risquer de préformater son approche de l’œuvre. Si l’album n’a obtenu que 5.0 sur Pitchfork (le grand baboun anglais de la prescription musicale) si JD Beauvallet des Inrocks fait la moue, si votre pote disquaire, si avisé, balaie d’un revers de main, il y a des chances que vous partiez avec un sacré a priori négatif voire que vous n’écoutiez tout simplement pas l’œuvre. Si tout le monde s’accorde à dire que c’est génial, même conséquence inversée.
Après, c’est confronter son avis aux autres et découvrir qu’on a tout ou rien compris. C’est se mettre en colère, ou au contraire sentir le délice de la complicité gustative. On peut tomber amoureux pour ça. Se rassurer de ne pas être seul contre le reste du monde. Dire Straits, Supertramp, Fauve, dans mes bras. Idem pour la détestation ou l’incompréhension contre le reste du monde. Joy Division, Smiths, Woodkid, embarras.
Jamais, c’est n’en faire qu’à sa tête, réclamer une liberté de jugement aussi totale et louable que de plus en plus utopique. Les prescriptions sont partout : dans la presse, sur internet, à la radio, à la télé, dans les supermarchés, dans le métro, dans la bouche de vos amis. Aujourd’hui U2 s’invite même de force sur votre compte Itunes. Difficile d’échapper aux effets de modes, aux enthousiasmes puis aux désamours. Les disquaires désintéressés sont devenus rares, l’hypothèse de découvrir et d’aimer un artiste tout seul comme un grand paraît en 2014 de plus en plus improbable. Même en live : il suffit de regarder les programmations estivales des festivals pour constater globalement qu’on ne défriche plus : on thésaurise, on rentabilise, on use jusqu’à la corde les mêmes artistes attendus partout. Pas un mal en soi. Mais question force de découverte, on repassera.
Quand Interpol a sorti son élégant, sombre et génial Turn on the Bright Lights en 2002, je pouvais encore me dire, lors d’une fin d’après-midi pluvieuse passée au Virgin Megastore de Rennes aux bornes d’écoute, que j’avais trouvé une pépite. Le magasin proposait, je disposais. Peu de pollution entre l’album et moi. Pour être sûr, je pouvais retourner dix fois à la borne en une semaine. Me confirmer que ça valait le coup de lâcher 140 francs (coucou les jeunes) pour approfondir l’écoute chez moi. Au mieux je pouvais aller feuilleter les Inrocks ou Rock’n Folk pour espérer trouver une critique. Et si j’achetais, j’écoutais jusqu’au onzième morceau, en mangeant des pâtes au beurre. Quand Interpol a sorti en 2007 Our Love to Admire, j’ai téléchargé l’album sur les conseils d’un ami, puis convaincu et séduit j’ai acheté sur Amazon la version Deluxe. Aujourd’hui je n’en écoute sporadiquement en mp3 que trois ou quatre morceaux, toujours avec le même plaisir. Quand Interpol a sorti en 2010 son album éponyme, je ne l’ai pas écouté, trop accaparé par les nouvelles vagues, les nouvelles tendances. Aujourd’hui sort El Pintor, que j’écoute depuis ce matin sur Spotify. L’élégance est toujours là, et je pense aux fans qui apprécieront le retour aux fondamentaux. Mais moi je prends un sacré coup de vieux. En douze ans, l’appréciation d’un album a changé du tout au tout. En 2002 au Virgin de Rennes, je ne l’aurais pas acheté. En 2007, je me serais débrouillé pour récupérer une copie. Et en 2014, je l’écouterais peut-être deux trois fois de plus. Pour partir après vers de nouveaux horizons. L’album n’est pas mauvais. Au contraire. Mais doit lutter aujourd’hui contre dix mille propositions. Monde de merde.