d'après L’ERMITE de Maupassant
C’était un homme de cinquante ans
Aux cheveux longs et déjà tout blancs.
Il me fit surtout
L’effet d’un être fatigué, las de tout.
Il vivait à Évian quand je l’ai rencontré.
Voici ce qu’il m’a raconté :
-« Quand j’habitais Paris,
Je menais la grande vie,
Butinant les filles à vendre
Ou simplement à prendre.
Cette existence me convenait.
Je vivais jour et nuit dans les cafés.
Je me laissais flotter au gré de la vie.
J’atteignis la quarantaine ainsi.
Pour fêter cet anniversaire,
Je m’offris un bon diner, en solitaire.
J’hésitais sur ce que j’allais faire après.
J’entrai par hasard dans un cabaret,
Et m’assis à une table.
Le spectacle était lamentable
Cependant, à une des entraineuses,
Jeune, jolie et rieuse,
J’offris une consommation.
Elle accepta sans hésitation.
Je lui dis les choses galantes et bêtes
Que l’on dit toujours à ce genre d’êtres.
Et comme elle était charmante vraiment,
Dotée d’une grâce innée,
L’idée me vint de l’emmener
…Pour fêter mes quarante ans !
Nous allâmes chez elle,
Car j’ai le respect de mes draps
Et son logis n’était qu’à deux pas de là.
Elle n’ignorait rien des plaisirs sensuels.
Après deux heures passées avec l’hétaïre,
Je m’apprêtais à partir
Et allais déposer sur la cheminée
Le cadeau coutumier
Quand j’aperçus une photographie.
Je me penchai sur ce portrait.
C’était le mien ! Je restai interdit
Et demandai :
-« Qui est ce monsieur-là ? »
-« C’est mon papa. »
Mon cœur battait
Comme le galop d’un cheval emporté.
Sans savoir ce que je faisais
Je déposai deux billets de cent francs
Sur la cheminée
Et me sauvai en criant :
-« À bientôt chérie, …au revoir… »
Sans le vouloir, sans le savoir,
J’étais entré dans la couche de mon enfant.
Je lui fis remettre cent mille francs.
Puis j’ai démissionné de mon emploi.
Et me voici ici !
Que pensez-vous de moi ? »
Je l’ai quitté, fort troublé par son récit.