Parole nue que tu palpes sous la peau du discours, sous le bruit de l’évènement, dans la dissonance d’un geste. Et à force de maigrir, la frugalité rebelle de l’influx aux portes des choses quotidiennes.
Dans les artères de cette mobilité, le rythme insécable. Le métal femelle du verbe que tu n’as pas courbé. Respiration simple qui se passe de mesures, chez-soi soudain de tout ce qui bouge et ne bouge pas – une convalescence du monde.
Ce chant taillé à même la langue ignore les apprêts imputrescibles, les substituts de venin de nos désirs. Deux phrases continues, ouvertes dans les eaux par l’étrave, ailes qu’articule la fente du creusement, qu’efface la loyauté des choses à la pesanteur.
Ton œil clair de l’inexorable, du brûlant face à face dans la nuit pierreuse. Celle où tu viens infiniment à ta rencontre. Toi qui n’arrives. Et je dis mon attente ignorée, les gestes qui nous incisent dans le noir, glorieux et destructibles. À hauteur d’écume où travaille l’ignorance des fonds.
Certains jours sans même nous prévenir, la parole tout à coup s’écroule. Nous nommons encore une fois l’image sonore, nous recopions le signe mental un instant suspendu au néant, puis rien. Ce rien fendu comme un vaisseau cathédral dans un amont de forêts bruissantes de tout ce qui était déjà langue avant que nous ayons proféré le mot herbe sous la pluie d’avril. Ainsi s’affaissent les magnitudes d’étoiles dans l’humble tracé du muscle du changement. Dans la fibre charnue de sa clarté, bonheur incestueux de la dent qui mord à l’absence de ce qui parle.
Lorand Gaspar, Approche de la parole, suivi de Apprentissage, Gallimard, 2004, pp. 134 et 135.
Lorand Gaspar dans Poezibao :
bio-bibliographie, extrait 1, extrait 2, extrait 3, extrait 4, extrait 5(parution Europe), note de lecture du numéro spécial d’Europe (oct. 2005), extrait 6, extrait 7, le Poètes d’Aujourd’hui de Jean-Yves Debreuille (parution), in notes sur la poésie, ext. 8, ext. 9, ext. 10, ext. 11