J'ai lu ce livre de Marguerite Yourcenar au lycée. Je ne l'avais pas aimé. Mais depuis quelques années, j'avais envie de le relire, persuadée d'être passée à côté de quelque chose. Bien sûr, ma découverte de Tivoli a décuplé mon désir de replonger dans cette oeuvre. Mais prise par d'autres découvertes, je n'aurais certainement pas relu ce roman si tôt sans la LC organisée par Maggie, Claudia, Océane, Margotte et Alison.
Ce roman, c'est une longue lettre d'Hadrien, empereur malade et vieillissant, à Marc Aurèle, son successeur après Antonin. Dans celle-ci, il revient sur les différents moments de son existence, sur ses actes comme sur ses pensées, sur ses amours comme sur sa philosophie de vie. "Quand je considère ma vie, je suis épouvanté de la trouver informe. L'existence des héros, celle qu'on nous raconte, est simple ; elle va droit au but comme une flèche". D'une superbe finesse psychologique, ce roman nous fait pénétrer la mémoire d'Hadrien, avec les petits événements qui marquent finalement plus que les grands (souvenir de chasse, de paroles, d'initiations religieuses plus que d'honneurs). On découvre aussi sa construction spirituelle, nourrie de philosophie grecque, de poésie, de cultes grecs, romains ou orientaux.
Jeune garçon studieux et brillant, formé à Athènes, et soldat valeureux des forêts danubiennes, Hadrien conte son accession au pouvoir et ses années de formation. C'est un garçon travailleur et philosophe :"Je choisissais ce que j'avais, m'obligeant seulement à l'avoir totalement et à le goûter le mieux possible. Les plus mornes travaux s’exécutaient sans peine pour peu qu'il me plut à m'en éprendre. Dès qu'un objet me répugnait, j'en faisais un sujet d'étude ; je me forçais adroitement à en tirer un motif de joie".
Après la mort de Trajan, Hadrien devient empereur. Voyageant sans cesse de la Bretagne à l'Orient, du Danube au Nil, il tâche de maintenir un empire pacifié, préférant les accords à la guerre. Refusant une politique de conquête, il donne aux romains des années de stabilité et de richesse. Cet âge d'or se poursuit alors qu'il vit les plus beaux jours de son amour pour Antinoüs, à la fois amant, ami et maître de ce jeune homme qu'il regarde grandir avec tendresse. Sans oublier de tremper son âme grâce à des initiations aux cultes à mystères, aux chasses et aux expériences érotiques. Quel bel éphèbe que ce Patrocle attaché à son Achille ! Empreinte de nostalgie et de regrets, cette partie "Saeculum aureum" est certainement la plus brillante du règne d'Hadrien. Mais avec la mort de son favori, tout se dégrade, la guerre reprend, la maladie de l'empereur grandit...
On redécouvre avec cet ouvrage un empereur profondément philosophe. Un homme curieux de tout, intelligent et peut-être moins mauvais que d'autres. Ses faiblesses et ses manquements ne sont pas cachés mais souvent justifiés. Il apparaît comme un homme humble, en fin de vie, oscillant entre fatalisme et espoir, entre liberté et retenue.
Ce magnifique portrait, très documenté mais jamais pesant, est porté par la plume classique et érudite de Marguerite Yourcenar, trempée à l'encre des textes antiques. En proposant un portrait moral plus qu'historique d'Hadrien, elle en fait un personnage universel et éternel, à peine assujetti aux contraintes de son temps. Et rien de ce fait ne sonne faux dans ce roman historique, pas même l'usage de la première personne.
Un roman que j'ai pris énormément de plaisir à relire et qui m'a fait replonger avec bonheur dans l'histoire et le monde antique. Mais aussi le genre de roman qui interroge sur ce qui fait le sens et la saveur de l'existence, qui invite à en apprécier les beautés et les joies malgré (ou à cause de) la nostalgie qu'il dégage.