Sylvain dans le désert de Gobi (Chine)
J’accueille Sylvain Charbit pour un interview. J’ai rencontré ce voyageur de l’extrême au Canada après son périple de 17 000km en auto-stop depuis la France jusqu’en Australie. Il nous livre sa réflexion sur le voyage au long cours et ce qui a changé pour lui dans cette aventure personnelle et humaine hors du commun.
Sylvain, quel est ton parcours personnel?
J’ai 27 ans, du poil au menton et de grandes mains. Après plusieurs années d’études de droit peu stimulantes, je me suis tourné vers le journalisme et j’écris maintenant depuis plus de 5 ans sur différents thèmes : musique, voyage, auto, géopolitique. Je réside actuellement à Toronto, Canada, depuis 18 mois où je bosse pour plusieurs canards francophones de la province. Je m’attèle en ce moment à développer mes compétences sur le net et les réseaux sociaux après plusieurs passages en agences de marketing 2.0.
Pourquoi ce voyage en auto-stop?
L’élément déclencheur remonte à une dizaine d’années, lorsque j’ai vu le reportage d’un patron de garage, retapant de vieilles coccinelles afin qu’elles fassent un maximum de kilomètres. Son vœu le plus cher était qu’elles servent à des baroudeurs pour faire un ou deux tours du monde. Il a lâché une phrase aussi simple que criante de vérité : « Quand tout vous emmerde, boah… pfou… ben barrez-vous ». Il ne croyait sans doute pas si bien dire.
Lorsque j’ai finalement fait le grand saut, je souhaitais d’une part me forger ma propre opinion du monde, sans être influencé par un flux continu d’informations et d’autre part me former seul au journalisme international. Le climat politique en France étant déjà lourdingue à l’époque (2011), j’aspirais également à prendre l’air pour retrouver une vision calme et posée de la situation globale de mon pays, une certaine quiétude.
Quel a été ton itinéraire? Combien de pays as-tu traversé en combien de temps?
J’ai traversé en tout 14 pays. Je suis parti de ma Picardie natale avec pour but de rejoindre Melbourne, Australie, en auto-stop. J’ai traversé successivement l’Allemagne, l’Autriche, la Hongrie, la Roumanie, l’Ukraine, la Russie, le Kazakhstan, la Chine, le Vietnam, le Laos, la Thaïlande, la Malaisie, la cité-état de Singapour, l’Indonésie et enfin l’Australie. Cela représente environ 17 000 km pour une durée de 11 mois.
Où et comment dormais-tu sur la route?
Je dormais généralement dans ma tente ou chez l’habitant. Je désirais découvrir le cœur de chaque pays traversé, loin des sentiers touristiques. La plupart du temps, ce sont les personnes qui m’emmenaient en auto-stop qui proposaient de m’héberger chez eux ou leurs proches.
Ensuite, le site internet Couchsurfing m’a été très utile tout au long de mon parcours et m’a permis de faire des rencontres extraordinaires. Je suis resté de rares fois dans les auberges, principalement lorsque je n’avais plus d’autres options. Je n’en reviens toujours pas de la générosité de toutes les personnes qui m’ont offert un toit ou un jardin où planter ma toile de tente. Je leur suis éternellement redevable.
Comment te nourrissais-tu sur la route?
Je me nourrissais principalement dans la rue. Les petites échoppes pullulent dans la plupart des villes, et plus l’on va à l’est, plus les prix sont dérisoires. C’est une excellente façon de s’accoutumer d’entrée à l’atmosphère d’un lieu inconnu. Beaucoup de riverains insistaient également pour m’offrir des fruits, des légumes, des pâtisseries et des alcools locaux.
Quel a été ton budget pour ce voyage en auto-stop ?
Je suis parti avec 5000 euros en poche, avec pour prévision de dépenser 13,6 euros en moyenne par jour. Je paniquais un peu en Europe puisque je dépensais facilement le double, puis d’autres pays sont venus rééquilibrer mon budget, principalement en Asie où la vie est peu chère.
Il faut ajouter à cette somme les 2000 euros dépensés en matériel, visas et vaccins avant mon départ. Ce qui fait donc 7000 euros en tout.
Sylvain en habit traditionnel roumain (Bucharest)
Quelle a été l’expérience la plus marquante de ton voyage?
Il est difficile de répondre à une question pareille, puisque mes journées étaient tellement intenses et riches en rebondissements que j’avais souvent du mal à me rappeler de tout ce qui m’était arrivé la veille. Je peux citer en vrac la répression musclée d’une manifestation à Moscou, la traversée de Bangkok pendant les inondations ou encore ma nuit passée sous un palmier pendant un typhon au Vietnam.
En termes de beauté et de poésie, je pense que les « lacs-miroirs » kazakhs, près de la frontière chinoise, furent l’une des expériences parmis les plus marquantes. L’eau du lac est d’une pureté telle qu’elle reflète parfaitement le ciel. Si on ajoute à cela les mirages créés par une température extrême, on se retrouve alors à errer dans le décor, ne sachant plus si l’on est à l’endroit ou à l’envers, si l’on marche sur les nuages ou sur la terre.
Quelle a été la pire expérience de ton voyage ?
Une des pires expériences de mon voyage a été de me faire jeter dehors en pleine nuit par un hôte ukrainien peu élégant que j’avais surpris bien malgré moi en train de se faire une douceur dans son salon, ou me faire racketter par l’armée kazakh en pleines steppes. Ces derniers menaçant de garder mon passeport et de me faire croupir en prison si je ne leur donnais rien. Ils ont obtenu 25 tengue, c’est-à-dire environ 10 cents d’euros, alors qu’ils me demandaient 200 euros à la base. Je dois mon salut à deux étudiants kazakhs qui m’accompagnaient et qui m’ont fermement défendu face à eux.
Est-ce que ce type de voyages est dangereux? Comment faut-il se préparer?
En tant qu’auto-stoppeur, il faut savoir que les gens ont beaucoup plus peur de vous que le contraire. Les préjugés sur ce type de pratique ont la vie dure dans la plupart des pays occidentaux. Au final, les seuls problèmes que j’ai rencontrés furent avec les autorités, policières et militaires principalement. Les mafias locales ont parfois tenté de m’intimider, mais n’ont jamais insisté bien longtemps.
Bien évidemment, il convient malgré tout de prendre ses précautions. Le mieux est souvent de rester dans les stations-services et de choisir soi-même les automobilistes. C’est certes plus long mais plus sécuritaire. Parfois, il est tout simplement impossible de trouver un lieu pareil, alors on fait acte de foi et on tend le pouce sur le bord de la route. Mais c’est aussi ce qui fait la beauté d’un voyage pareil : le hasard et toute l’excitation qui vient avec.
Sylvain présentant son voyage sur l’île de Sumatra – Indonésie
Qu’as-tu appris avec ce voyage? Qu’est ce que cela t’a apporté dans la vie?
Rares sont ceux qui n’ont jamais rêvé de voyage, d’une hypothétique plage de sable fin cernée par la jungle, de croisières dans des eaux sauvages, d’aventures avec un grand A.
En revanche, et même si elles sont plus nombreuses aujourd’hui, trop peu de personnes osent franchir le pas. L’inconnu, la perte d’un confort familier, l’éloignement des proches et le retour, sont généralement les principales causes d’angoisse. Ayant moi-même passé un long moment à penser à tout cela avant de courir le monde, je sais désormais qu’il n’y a que deux réponses à y apporter : préparer l’ensemble du mieux possible, dans la limite de nos connaissances, et ne pas penser à tout ce qui pourrait arriver une fois à l’étranger. Partir, c’est aussi assumer que l’on a aucune idée de ce qui va se passer, de la façon dont nous allons réagir, dont les gens vont nous accueillir.
Une fois que l’on parvient à trouver cette force, ce courage, cette ignorance bénie, il ne reste plus qu’à aller droit devant.
Pour ceux qui ont décidé comme moi de traverser le globe par voie terrestre, en sollicitant l’aide des autochtones, le défi et l’émerveillement sont d’autant plus grands. On s’étonne chaque jour des hectolitres de bonté que la route réserve, et on en vient souvent à rougir devant tant de considération de la part d’étrangers. Tous les préjugés tombent peu à peu et la seule chose qui importe alors est un moyen de rendre la pareille. Huile de coude, réconfort, compagnie, attention… rien de plus qu’un peu de chaleur. Que l’on se trouve dans les vertes prairies d’Ukraine ou dans le désert chinois, il y aura toujours quelqu’un pour vous tendre la main au moment où l’on s’y attend le moins. Les découvertes sont innombrables, les échanges sont inoubliables, on redécouvre la vie pour la voir telle qu’elle aurait toujours dû être : excitante, changeante, nomade.
Laissez-moi-vous épargner le suspens : vous ne reviendrez pas d’un tour du monde plus intelligent, plus sociable ou plus brillant. Le voyage donne simplement plusieurs clés, des réponses à certaines questions profondes qui ne pouvaient pas être résolues en menant la vie d’un sédentaire. On apprend à se connaître, au fur et à mesure des rencontres et des évènements, positifs et négatifs. Notre corps absorbe toute cette énergie extérieure, s’imprègne de tous ces visages, de ces gestes et réactions exotiques, pour nous renvoyer devant notre conception de la réalité. Au cœur d’une aventure, rien n’est sûr, si ce n’est que plus l’on avance, plus l’on prend toute la mesure de son inexpérience.
Un reflet de son être, voilà la récompense.
P.S. : Avec tous mes remerciements à Cyril pour son hospitalité. Ecrit par Sylvain Charbit
Ce post 17000km en auto-stop – Interview Sylvain a été créé par howimettheworld.com.