Il n’y a pas à tortiller : le logement, sous toutes ses formes, taraude vraiment les politiciens et les socialistes en particulier. Il ne se passe plus une semaine sans qu’un dispositif, une loi, un décret, une proposition ne soient lancés dans la sphère du débat public afin de montrer à tous que nos gouvernants sont hyper-impliqués par le sujet, totalement à fond sur le dossier, méga-concernés par les problèmes des Français dans la matière et qu’ils entendent bien apporter une, pardon, des solutions, de préférence définitives et indiscutables, pour des lendemains qui sifflotent gaiement en dolby surround.
Ainsi, les péripéties pourtant rocambolesques de la Loi ALUR n’ont pas suffi à refroidir l’ardeur de nos ministres en la matière. Pendant que Ségolène Royal veut du bâtiment public à « énergie positive » (question de chakras, je suppose), c’est le tour de Geneviève Fioraso, la secrétaire d’État à l’Enseignement Supérieur et Aux Petits Studios Étudiants Pas Chers Bien Situés Faire Offre Au Ministère.
Et comme d’habitude lorsqu’il s’agit de faire le bien à la place des autres, avec l’argent des autres, la propriété des autres et sans se mettre à la place des autres, tout part d’une idée à la fois simple, généreuse et parfaitement conne : comme les étudiants ont du mal à trouver un logement abordable, comme la caution qu’ils doivent déposer, suivant le prix des loyers, est de plus en plus élevée et qu’ils n’ont pas tous la possibilité d’impliquer leurs parents comme cautions solidaires, la ministre propose donc de remplacer ces parents en usant de l’État-papa et du gouvernemaman. Moyennant quoi, tous les étudiants (de moins de 28 ans) vont enfin pouvoir se trouver logement à leur pied, et tout ira très bien. Et quand on dit « tous », c’est assez proche de la réalité puisque cette caution étatique sera possible pour tous ceux qui n’ont pas de garant, quels que soient leurs revenus, leur situation familiale, leur nationalité. Youpi, donc, on ratisse large, la République a les moyens.
Bien sûr, côté propriétaire, ne comptez toujours pas faire ce que vous voulez avec votre propriété privée : il faudra que le loyer soit plafonné, selon des normes et des barèmes précis, fonction de la localisation, du nombre d’occupants et de la couleur du papier peint, à choisir dans un catalogue fourni en début d’année par le Commissariat Général Aux Décorations Estudiantines. On pourrait croire que tout ceci risque de coûter fort cher. Il n’en sera rien, soyez rassuré : tout ce bousin dispositif est financé par l’État (donc, par vous) et la Caisse des Dépôts (donc, par vous), et la garantie grimpe à hauteur de 600.000 euros par loyer. Les étudiants, en contrepartie, paieront une cotisation de 1.5% du loyer (ça fera moins de 10 euros par mois en moyenne).
Du côté des associations étudiantes frémissantes à l’idée d’investir les millions de logements ainsi dégagés par les mesures énergiques de la ministre, on se déclare optimiste :
« C’est positif, mais (…) les prix, en particulier des petits appartements, sont toujours très élevés (…). Nous allons lancer une campagne auprès des grandes villes pour qu’elles demandent toutes l’encadrement des loyers, comme Paris, Lille ou Grenoble viennent de le faire. »
Voilà-t-y-pas que c’est croquignolet comme réflexion : puisque le gouvernement abandonne les idioties de Duflot, les étudiants vont faire pression auprès des maires pour qu’on les fasse quand même, parce que le contrôle des loyers, ça marche toujours, tout le monde sait ça !
À ce point de l’exposé, il est bon de faire une petite pause, pour reprendre son souffle et observer le paysage locatif dévasté sur lequel pleuvent les bombes gouvernementales. Quelques arbres législatifs calcinés lancent leurs branches noires dans un ciel triste. La pluie, grasse et froide, détrempe le sol qui n’est plus qu’une vaste étendue de boue gluante, labourée par les obus ministériels qui ont, les uns après les autres, aplati chacune des courageuses tentatives des locaux de faire fructifier leur patrimoine immobilier dans cette guerre idéologique ouverte et sanglante.
Difficile, en effet, de ne pas noter deux choses.
La première est qu’une garantie d’État ne vaudra jamais un état garanti. Autrement dit, absolument rien n’indique que, le cas échéant, l’État (qui a le monopole de la force et du « Tais-Toi J’ai Raison ») paiera effectivement les loyers dus, ou les réparations à faire suite à des locataires indélicats. Pire : ce qui est vrai maintenant est sujet à changement unilatéral impromptu, à tout moment. Si la loi (notamment fiscale) était gravée dans le marbre en France, ça se saurait. De plus, compte tenu de la façon dont l’État gère ses dossiers, tout propriétaire prudent aura même tendance à se tenir le plus éloigné possible d’une garantie apportée par une troupe de brigands qui n’ont de cesse de le voler, et d’incompétents qui n’ont jamais démontré le moindre succès flagrant sur les 40 dernières années (sauf à titres personnels, bien évidemment).
Les loyers possiblement couverts par cette garantie étant plafonnés (500 euros en province, 600 en Île-de-France, et 700 à Paris), on peut donc raisonnablement parier que les propriétaires avec deux sous de bon sens vont se précipiter pour ajuster leurs prétentions juste au-dessus de ces plafonds, éliminant de fait les étudiants concernés, et entraînant inévitablement les loyers à la hausse.
Et c’est là que la seconde remarque prend la première en tenaille et lui administre un petit coup de coude dans les dents, tchak. En effet, grâce aux frétillantes demandes estudiantines, les loyers vont êtres encadrés, ce qui veut dire que la marge de manœuvre pour le propriétaire sera strictement nulle : ou bien il devra baisser son loyer, ce qui diminuera d’autant le rendement locatif de son bien. Mais ce n’est pas grave, parce que le mot « rendement » est destiné à disparaître du vocabulaire. Ou bien ce mot sera rapidement suivi de « location » parce que tout bien considéré, le propriétaire aura tout intérêt à ne plus l’être, ou à ne plus louer du tout. Tant qu’à perdre de l’argent, autant que ce soit de façon contrôlée, et pas soumis à l’aléa des lois locatives, des trêves hivernales, des squats, des changements fiscaux de dernière minute et de la naturelle opprobre qui frappera bientôt les nantis possédants.
Et d’un coup, l’avenir des étudiants sans garantie apparaît plus joyeux. Grâce au travail minutieux du bataillon de sapeurs ministériels, les rares pans de secteur immobilier qui tenaient encore vont enfin s’effondrer. Vive la République. Vive la France.
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