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une vieille fille...

Publié le 09 septembre 2014 par Dubruel

d'après MADEMOISELLE PERLE de Maupassant

Cette année, comme tous les ans,

Je vais tirer les Rois

Chez mes vieux amis Lavoye.

Ils ont deux filles, Pauline, vingt ans

Et Isabelle, dix-sept,

Deux belles filles, fraîches, coquettes,

Très bien élevées,

Trop bien élevées.

Jamais l’idée de les courtiser

Ne m’était venue à l’esprit.

C’est à peine si

J’osais leur parler

Tant je les sentais immaculées.

J’avais même presque peur d’être inconvenant

En les saluant.

Je dine chez les Lavoye le 15 août

Et le jour des Rois.

Ils invitent quelques amis le 15 août

Mais je suis le seul convive le jour des Rois.

Comme tous les ans, Mlle Perle,

Toujours aussi aimable,

Siège en bout de table.

J’étais habitué à voir Mlle Perle

Tous les ans

Comme on voit un vieux divan

Sur lequel on s’étend de tout son long

Sans y prêter attention.

Elle faisait partie de la famille Lavoye,

Voilà tout ; mais comment ? Pourquoi ?

Mlle Perle était une personne retenue

Qui s’efforçait de passer inaperçue

Mais qui n’était pas insignifiante.

On la traitait amicalement,

Mieux qu’une dame de compagnie

Moins bien qu’une parente.

Je saisissais maintenant

Une quantité de nuances variées

Dont, jusqu’ici, je ne m’étais pas soucié.

Alors, pour la première fois de ma vie,

Je dévisageais Mlle Perle et me demandais

Ce qu’elle était.

Je la regardais attentivement.

Quel âge avait-elle ? Quarante ans ?

Elle n’était pas vieille. Elle se vieillissait.

Elle s’habillait, se coiffait,

Se parait comme dans le temps

Et pourtant,

Ridicule, elle ne l’était point

Tant elle portait en elle

Une grâce simple, naturelle,

Voilée, cachée avec soin.

Comment

Ne l’avais-je pas mieux observée avant ?

Coiffée de petits frisons,

Elle avait un large front,

Des yeux bleus, doux, timides, craintifs,

Deux beaux yeux restés naïfs,

Pleins des chagrins et des étonnements

Qui avaient dû passer dedans,

Les attendrissant sans avoir pu les troubler.

Tout son visage était simple et discret.

Et quelle jolie bouche ! Quelles jolies dents !

Je comparais ces traits, comme par amusement,

À ceux de la maîtresse de maison,

J’étais stupéfait de mon observation !

Mlle Perle était plus fine, plus noble, plus fière.

Au dessert,

On apporta la galette des Rois.

Comme chaque année, M. Lavoye sera roi.

Mais non. En mangeant

Une bouchée de ma part de gâteau,

J’ai senti sous ma dent

Une sorte de haricot.

La surprise me fit dire : « Ah ! ».

On me regarda.

Pauline s’écria : « C’est François !

Vive le roi ! Vive le roi ! »

Et reprit :

-« Votre reine, veuillez la choisir. »

Ne sachant que dire,

Je souris

Et tendis à Mlle Perle

La minuscule porcelaine.

Tous s’exclamèrent :

-« Vive la Reine !»

La pauvre fille trembla,

Et balbutia :

-« Mais non…non, pas moi.

Je vous en prie,…pas moi… »

Je vis que la famille Lavoye

L’aimait beaucoup.

On lui servit deux doigts de vin doux

Et tout le monde cria :

« La reine boit ! La reine boit ! »

Elle devint rouge et s’étrangla.

Dès que le diner fut achevé,

Mon ami Lavoye me prit le bras.

C’était l’heure de son cigare,

Heure sacrée.

Il m’emmena

Faire un billard.

Nous commençâmes la partie

Mais la pensée de Mlle Perle

Me rôdait dans l’esprit.

Je demandai :

-« Est-ce une de vos parentes, Mlle Perle ? »

Lavoye cessa de jouer

Et, très étonné, me regarda :

-« Comment, tu ne sais pas ?

Tu ne connais pas l’histoire de Mlle Perle ?

Ton père

Ne te l’a pas racontée ?

De plus, c’est singulier

Que tu me demandes ça un jour des Rois ! »

-« Pourquoi ? »

-« C’était il y a quarante ans,

Quarante et un an très précisément

Aujourd’hui, jour de l’Épiphanie.

Nous habitions alors en Normandie.

J’avais quinze ans, je crois…

Oui, puisque j’en ai cinquante-six.

Ce souvenir me trouble l’esprit.

Pardon. Nous allions fêter les Rois

Et nous étions très gais !

Tout le monde attendait le déjeuner

Quand mon frère Thomas

Dit : ’’-Il y a un chien qui hurle là-bas…’’

Il n’avait pas fini de parler

Qu’on sonnait

À la porte du jardin.

On dépêcha un domestique au portail.

Mais il revint

Et affirma qu’il n’avait rien vu d’anormal.

’’- Un chien aboie au loin, pourtant,

Allons le chercher

Et essayons de le trouver.

Nous avons traversé le petit champ

Qui longe la maison

Et à mesure que nous avancions,

La voix du chien devenait plus claire.

Mon oncle cria bientôt : ‘’Le voilà !’’

Et mon père s’exclama :

’’-Regardez, là, derrière,

Il y a une carriole d’enfant ’’

Il souleva la couverture doucement

Et prit dans ses bras le bébé qui y dormait.

’’-Tu seras des nôtres, pauvre abandonné !

C’est sans doute sa maman

Qui, toute à l’heure, sonnait pitoyablement.

Bon, nous enquêterons’’

Le bébé était une fille d’un mois environ.

Ses parents étaient étrangers au pays

Car, sur eux, nous n’avons rien appris,

Jamais rien.

Et personne ne reconnut le chien.

Nous avons déclaré et baptisé le bébé

Sous le nom de Perle.

C’est ainsi que ma mère

L’avait surnommée.

Voilà comment à l’âge d’un mois,

Mlle Perle entra chez les Lavoye. »


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