Je vous propose de relire le résumé des femmes de droite avant de lire cet article-ci.
J'ai été assez étonnée au cours de cet été, du nombre de réactions au tumblr "women against feminism". Ce n'étaient que protestations outrées à peu près partout, et ce micro évènement a pris une importance démesurée.
Cette année il y aura eu, comme chaque année me direz-vous, 50 000 viols en France. En 2008, il y aurait eu plus de 200 000 viols ou tentatives de viol aux Etats-Unis. On pourrait également parler des femmes tuées par leur conjoint, des femmes harcelées dans la rue ou des femmes battues. Pensons aux inégalités salariales, au harcèlement au travail et au sexisme au quotidien.
Cet été une célèbre féministe américaine, a du quitter son logement suite à des menaces de viol et de meurtre. Ce n'était que le point culminant d'années de harcèlement divers et variés, tous organisés en ligne, à la vue de tous et toutes, dans des propos parfaitement clairs dans leurs intentions.
Des féministes françaises qui avaient souhaité dénoncer le harcèlement de rue se sont vus harcelées et moquées ; là encore sur des sites parfaitement visibles et consultables par tout le monde où des dizaines de topics et messages ont mis en doute la véracité de leurs propos, les ont moquées et tournées en ridicule.
Ces actes là sont concrets ; bien plus concrets qu'une page tumblr où quelques femmes posent avec une pancarte.
Il suffit d'une recherche google de quelques secondes pour trouver des milliers de pages, créées par des hommes, qui crachent sur les féministes et piétinent les droits des femmes.
Le viol, la violence conjugale, le harcèlement de rue, les violences sexuelles sont des actes clairs, concrets, commis par des hommes et qui sont des actes anti féministes. Et pourtant ils ne bénéficient pas du quart des articles dénonciateurs dont a bénéficié ce tumblr.
Et voilà que des gens s'étonnent que des femmes ne soient pas féministes ? Que des femmes se déclarent même anti féministes alors que chaque jour des centaines de milliers d'hommes à travers le monde commettent des ACTES BIEN CONCRETS qui vont à l'inverse des droits des femmes ?
Je suis devenue féministe le jour où j'ai voulu porter plainte quand j'avais 18 ans. Ce soir là j'aurais pu me dire que j'étais tombée sur "un taré", puis sur des flics "'un peu cons" et que ma famille avait été "maladroite". J'aurais pu. Bien sûr il m'a fallu des années pour me dire féministe et analyser tout ce qui m'était arrivé ce soir là ; mais du moins j'avait pu voir qu'il y avait un lien entre tous ces gens et ce qu'ils avaient pu dire ou faire. Ce jour là, mes yeux se sont grand ouverts.
Je le regrette parfois. Souvent.
Je regrette de ne pas rire quand on me demande si j'ai mes règles parce que je suis énervée, je regrette de ne pas rire quand on me siffle dans la rue, je regrette de ne pas parler d'un "gros lourd" quand on m'a peloté dans le metro, je regrette de ne pas apprécier les journaux féminins, je regrette de voir que ma mère déteste systématiquement - mais c'est un hasard - toutes les femmes politiques, je regrette de ne pouvoir voir un film, une série, une pub, sans y voir le sexisme qui y est présent si souvent. Je regrette de "voir le mal partout", d'analyser en termes de genre à peu près tout comportement. Je regrette de voir le sexisme car si, comme de nombreuses femmes, j'y voyais juste "de la connerie" ; peut-être que je serais en paix. Peut-être que je n'aurais pas l'impression d'un système si oppressif qu'il empêche de respirer parfois.
Je n'ai pas eu le choix ; nous n'avons pas le choix. J'ai ouvert les yeux et il était impossible de les refermer. On dit "pas de justice pas de paix". Le féminisme est une éternelle quête de justice alors je crois que cela veut dire que je n'aurais jamais la paix.
Je vois autour de moi beaucoup de féministes épuisée, vidées. Cents fois remettre l'ouvrage sur le métier dit-on. On le remet 100 fois, 200 fois, mille fois. On tâche de ne pas répliquer au 1000ème - qui croit être le premier - à nous demander pourquoi on n'est pas plutôt humaniste.
Il est reproché à ces femmes de ne pas être féministes mais on nous reproche de l'être ; toujours les mêmes règles schizophréniques imposées aux femmes. Il faudrait défendre ses droits mais pas trop, ou pas comme on le fait. On n'est jamais assez patiente, on ne s'occupe pas des vrais combats ou pas de la bonne façon, on explique mal, on s'énerve trop, on est trop pressée, on n'est pas assez gentille avec les hommes qui sont féministes mais qui vont cesser de l'être si on continue comme ça, on s'attache à des détails, on exagère les choses, on dénonce trop, on s'indigne trop.
Et vous vous demandez encore pourquoi des femmes ne sont pas féministes ?
A part la joie insigne de constater au quotidien le sexisme crasseux qui s'insinue à peu près partout, jusque dans ,nos lits et nos amitiés, à part le fait de se faire harceler, foutre de nous, moquer ou ridiculiser c'est vrai qu'on se demande bien pourquoi ces femmes n'ont pas choisi d'êtres féministes.
Les réseaux sociaux ont permis aux féministes de se retrouver et de diffuser leurs idées mais cela a eu une contrepartie énorme ; la visibilité gagnée nous a aussi infligé un harcèlement continu et parfaitement visible. Les féministes qui se sont attaquées aux pires bastions masculins du web ont été traitées dans la boue de la pire des manières, harcelées, moquées, menacées. Et vous vous demandez encore pourquoi ces femmes ne sont pas féministes ?
Se dire féministe est s'assurer dans la majeure partie des cas de longs regards incompréhensifs voire apitoyés qui deviendront ensuite moqueurs. Sur les réseaux sociaux, la grande mode n'est pas de se moquer, qui des racistes, qui des transphobes, qui des machistes pensez donc. Non il faut se moquer de celles et ceux qui les combattent c'est tellement plus drôle.
La stratégie de survie - et qu'on a été nombreuse à adopter pendant des temps plus ou moins longs - est de faire ce que le groupe agresseur attend de nous. Tu veux une paix relative - très relative entendons nous bien - ; dis que tu n'es pas féministe. Pendant quelques heures, tu te moqueras de concert des féministes avec des hommes sexistes et tu auras l'impression d'être en sécurité et pis tu feras semblant de croire que les blague qui vont surgir à ton encontre sont des blagues entre potes, les mêmes qu'ils se font entre eux. Se dire non féministe c'est faire le pari de la paix, de la protection de ceux qui harcèlent les féministes. Et pourquoi ne pas le faire ? Les sexistes sont beaucoup plus nombreux que les féministes ; alors s'il faut jouer la "femme de service" je comprends ce choix. Je ne l'approuve pas mais le comprend.
Avant de se demander alors pourquoi ces femmes là ne sont pas féministes, je voudrais demander moi, pourquoi autant d'hommes ne le sont pas. Pourquoi autant d'actes non féministes, contraires aux droits des femmes dont perpétrés sans qu'on se demande pourquoi ils le sont ; c'est comme si au fond on trouvait tous ces actes là très normaux, très logiques. On attendait que les féministes les combattent mais pas un instant, on attendait les combattre soi-mêmes et les questionner. Ces femmes là sont non féministes ; il m'a été signalé que des féministes les ont insultées et menacées pour cela. Se tromper d'ennemi, faire le choix, de la victime qui cède parce que cela semble un choix plus rationnel à ce moment là me semble une erreur grave.
Les yeux grand ouverts. Les refermer l'espace d'un instant et ne plus penser au sexisme. Se reposer.