« Qui trouve grâce à tes yeux ? »
« Je reconnais que tu es un homme cultivé, honnête, juste, intègre. Mais tu utilises ces qualités pour étouffer les autres, les rabaisser, les humilier, les écraser. Ta grande morale te sert à haïr le monde entier. Tu détestes les croyants parce que croire, pour toi, est un signe d'archaïsme et d'ignorance. Tu détestes les non-croyants, parce qu'ils n'ont ni foi, ni idéal. Les vieux te paraissent réactionnaires, les jeunes, iconoclastes. Qui trouve grâce à tes yeux ?... Si, pour une fois, tu pouvais défendre une position qui te soit inconfortable ou éprouver un sentiment qui ne te flatte pas... Mais ce n'est pas possible. »Extrait du monologue de la femme d'Aydin.Il faut évidemment aller voir ce film. C'est obligatoire. C'est l'histoire d'un homme - ex comédien de renom - qui est évidemment, obligatoirement, totalité ou partie de toi, moi, nous car cette histoire et ce film c'est toi, moi, nous. Cet homme se débat avec sa femme, avec sa soeur, avec ses serviteurs (très zélés), avec les gens du village, avec le monde entier, avec lui vous l'aurez compris. Il se débat et l'hiver, le vrai, s'en vient. L'hiver pas négatif quoique porteur de blizzard, de glaciation, de boue.
Mais l'hiver propice à l'entendement, à l'introspection, c'est en hiver et uniquement en hiver que l'âme donne des fruits. Neige-silence, neige-semence, neige-fruit, neige-tic-tac de l'horloge que nous portons tous en nos ventres comme réveil en celui du crocodile chez Peter Pan.
Nombreux sommes-nous comme ça, à nous débattre. Bon, je ne veux pas exagérer mais quand même, l'unique question est à mon sens celle là : Quelle est la qualité du regard que nous portons sur les autres ?
Que sont pour nous les autres dans nos vies ? Leur place ? Le crédit que nous leur accordons, même et surtout à nos proches ? Ne tissons-nous pas pour nous en vêtir un manteau neigeux, glacial avec le temps ? Et la place de la parole juste ? La place du verbe juste ? La place des saintes réconciliations ? La place de la connaissance de l'autre ? Et surtout, qui trouve grâce à nos yeux ? Cet autre étrange quel est-il ? Pourquoi me fait-il peur, si peur ? Si je lui donne crédit, je n'existe plus, je ne suis plus ?
Pourrons-nous enfin un jour descendre de notre balcon hivernal, sortir de nos maisons, avancer dans la rue, nous fondre dans la foule, avancer comme on peut quitter une plage et nous abandonner à l'océan, résolument, sans peur, nus comme au premier jour pour nager enfin vers la vraie rencontre, poids de la matière disparu ? Faux-fuyants, faux-semblants abandonnés avec serviette et vêtements sur le sable.
Une fenêtre s'ouvre sur leçon d'humanité : Winter Sleep est un film du domaine du vivant, c'est un film unique, comme seuls Bergman, Tarkovski, Bresson nous en ont portés.
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