(Crédit photo : Steven Lilley - flickr)
Interview - Ajouter une louche de microbes dans des fromages aseptisés pour leur faire retrouver le bon goût du terroir, c'est l'idée de chercheurs de Caen et de fromagers AOP bas-normands.
Nathalie Desmasures est professeur en écologie microbienne à l’université de Caen (Calvados). Elle mène ce projet de réintroduction des bons microbes dans le fromage avec l’association de gestion des AOP laitières bas-normandes.
Terra eco : Vous souhaitez réintroduire des microbes dans les fromages bas-normands. Pourquoi ?
Nathalie Desmasures : Les pratiques de production du lait à la ferme ont beaucoup évolué depuis trente ans pour diminuer la charge microbienne et augmenter la sécurité sanitaire. La généralisation de la réfrigération du lait et les pratiques hygiéniques de plus en plus poussées au moment de la traite, inscrites dans les réglementations française et européenne, ont eu des effets positifs car on maîtrise très bien désormais les risques sanitaires. Mais on est passé dans le même temps, en France, d’une charge microbienne de plusieurs centaines de milliers de micro-organismes par millilitre (ml) de lait cru à moins de 5000 micro-organismes/ml. La sécurité du produit est très bonne, au détriment du goût.Ce sont les microbes qui donnent du goût au fromage ?
Pas tous. Ce ne sont pas les mêmes qui sont responsables du goût et des risques sanitaires. Pourtant, les indésirables comme ceux qui présentent un intérêt technologique parce qu’ils jouent un rôle dans la transformation du lait en fromage, ont tous été affectés par les réglementations successives. Or, en l’absence des derniers, le pouvoir acidifiant du lait cru, qui est une des étapes nécessaires à la transformation fromagère, diminue. La richesse aromatique également. D’où la crainte des fromagers AOP que leurs produits ne se standardisent. Voilà pourquoi ils souhaitent renforcer la typicité de leurs fromages, à savoir leur arôme et leur odeur, en lien avec leur terroir. C’est à cette fin qu’un partenariat a été noué entre l’université de Caen et les syndicats producteurs de fromages AOP bas-normands.Quels sont vos leviers d’action ?
On peut agir de manière sélective pour limiter les mauvais et favoriser les bons micro-organismes. Il faut savoir que le lait dans le pis de la vache est quasi stérile, et se charge en micro-organismes pendant la traite. L’environnement à ce moment-là est donc déterminant : la charge de bons et mauvais microbes va dépendre de la propreté du pis, des trayons, de la machine à traire et du tank de stockage au froid, etc. Il faut donc développer avec les éleveurs des pratiques permettant de faire le tri entre les microbes indésirables et ceux présentant un intérêt technologique dans la salle de traite. Ce travail en amont n’a pas encore commencé.Depuis juillet, nous lançons une autre piste, en aval cette fois. Il s’agit bien d’intégrer des micro-organismes d’intérêt technologique dans le lait une fois trait. Nous en sommes pour l’instant à constituer une collection de 11 000 micro-organismes de l’environnement laitier, représentative de la diversité microbienne du terroir bas-normand. Le but est de définir une communauté microbienne qui serait un marqueur de ce terroir, puis de réinjecter ces microbes dans le lait. C’est un travail qui va prendre des années... Au final, on devrait retrouver ce que les fromagers considèrent comme étant l’arôme typique des fromages normands, dans de très bonnes conditions de sécurité sanitaire.
Quel sera l’effet sur la santé d’une augmentation de ces « bons » microbes ?
Le fait de consommer régulièrement des microbes divers pourrait entretenir le système immunitaire et stimuler la flore digestive, bien qu’il manque encore des travaux pour le prouver. Certaines études montrent également que la consommation de lait cru protège les enfants des allergies, mais le lien n’a pas été fait avec le fromage au lait cru. Toutefois, je pense qu’il serait bon, dans les réglementations sur le fromage au lait cru, de ne plus envisager uniquement le risque sanitaire mais aussi les bénéfices pour la santé.Ces microbes ajoutés vont-ils être qualifiés d’exhausteurs de goût naturels ?
Non parce qu’un exhausteur amplifie un goût préexistant quand l’introduction de microbes vise à enrichir et à diversifier les arômes du fromage. Cela multiplie les goûts.Le rédacteur :
ALEXANDRA BOGAERThttp://www.terraeco.net/En-Normandie-le-camembert-retrouve,56247.html