Klaus Florian Vogt et Andris Nelsons © Priska Ketterer/Lucerne Festival
Dimanche 31 août à l’heure de la messe, Klaus Florian Vogt dans des extraits de Parsifal. Les cloches sonnent à toute volée, ils sont venus ils sont tous là, la voix de miel va s’élever dans le temple construit par Jean Nouvel…
Et ce fut un peu décevant. Non pas tant par l’orchestre ni par le soliste, qui à 11h du matin, n’était quand même pas dans l’un de ses meilleurs soirs (comme on dit) mais plus à cause du programme choisi, de la manière de le présenter : Wagner n’est pas facile en récital…
Il y a peu de moments dans les grands opéras wagnériens qui puissent être coupés du contexte et présentés comme des airs ; si c’est encore possible dans Der Fliegende Holländer ou dans Tannhäuser, ça l’est un peu moins dans Lohengrin, et pas du tout dans Parsifal. Il n’y a pas d’airs à proprement parler, pas de moments isolés que l’on puisse extraire . Or le concert a commencé par trois extraits de Parsifal, l’Enchantement du Vendredi Saint à l’orchestre (ça passe et déjà Toscanini en avait laissé un enregistrement), Amfortas ! die Wunde ! du 2ème acte, et le monologue final de Parsifal (Nur eine Waffe taugt) au 3ème acte, mais sans le développement d’un final qui exigerait des chœurs et donc pour ces deux extraits vocaux, c’est plus une frustration qu’un plaisir. Ensuite, à chaque air, une sortie de scène, puis une rentrée avec applaudissements afférents: tout est fait pour couper l’émotion et la « mise en scène » du concert m’apparaît bien poussive…
Néanmoins, on peut comprendre le choix de Andris Nelsons, dans un programme où, à Birmingham par exemple, Wagner a été couplé avec Elgar. Ici, couplé avec la 7ème de Beethoven, les choses sont moins nettes. On peut comprendre aussi que devant faire Parsifal à Bayreuth en 2016, les deux artistes essaient de se retrouver le plus souvent possible. Même si Klaus Florian Vogt a déjà chanté Parsifal à la scène.
Klaus Florian Vogt dans l'effort © Priska Ketterer/Lucerne Festival
Amfortas ! die Wunde ! est l’air le plus héroïque de la partition, et le plus tendu pour Parsifal. Commencer à froid à lancer l’aigu d’ « Amfortas ! » n’est pas commode pour un chanteur, même si Vogt, d’une manière ici à la fois surprenante, et intelligente, lance un « Amfortas ! » non pas étonné, non pas un cri de la découverte de l’évidence, mais un cri déjà de douloureuse surprise. Sans jamais pousser la voix, sans être tonitruant, mais au contraire dissimulant l’effort et la poussée sonore sous une apparente facilité, son « Amfortas ! Die Wunde ! » est surprenant en soi, tant le son est homogène, tant la voix est projetée d’une manière naturelle, mais où néanmoins, par le seul art de l’interprétation, la tension est présente. Vogt a dans la voix la tendresse et la jeunesse du personnage, sa naïveté aussi : et nous sommes au moment où l’on passe de la naïveté au savoir, de l’ignorance à la lumière. Le ton dont il use est à la fois décidé et d’une incroyable douceur.
Klaus Florian Vogt et Andris Nelsons © Priska Ketterer/Lucerne Festival
Même impression dans son monologue du 3ème acte, au moment où il chante
Nur eine Waffe taugt: -
die Wunde schließt der Speer nur,
der sie schlug et où il va prononcer son Sei heil, entsündigt und entsühnt . À la fois décidé et plein de cette Mitleid (durch Mitleid wissend…), il n'est en rien autoritaire mais possède une incroyable autorité dans ces paroles, ce qui le différencie de bien des Parsifal vus ces dernières années. Là où Kaufmann (phénoménal) est seulement dans la Mit-Leid, dans la souffrance avec, (littéralement la com-passion), Vogt est déjà dans l’autorité consentie, mais une autorité installée par la douceur. La voix de Vogt, qui semble toujours ailleurs tant elle est particulière, fait ici merveille, grâce aussi à l’habile accompagnement de l’orchestre qui suit les inflexions du texte avec un volume adapté, qui ne couvre pas l’artiste, dans une salle où c’est souvent le cas.
On se souvient du magnifique 3ème acte de Parsifal dirigé par Andris Nelsons dans cette salle à Pâques dernier (le 12 avril dernier, avec Simon O’Neill, Thomas Konieczny, Georg Zeppenfeld) dont ce blog a rendu compte Son Karfreitagzauber, Enchantement du vendredi Saint, exécuté en « ouverture » du concert » déploie une palette sonore similaire avec Birmingham, brûlante de passion retenue, avec un souffle et une sensibilité étonnantes, et un sens du phrasé remarquable sans jamais avoir un son écrasant : en cela, l’orchestre est en parfait écho avec le soliste.
Au total des extraits de Parsifal qui ne laissent pas le temps ni au public ni à la voix de se déployer vraiment, et malgré les qualités de chaque moment singulier, c’est quand même une impression de frustration et d’incomplétude qui domine.
Klaus Florian Vogt © Priska Ketterer/Lucerne Festival
Quelques jours avant, Nelsons et Vogt faisaient leurs adieux 2014 dans le Lohengrin de Bayreuth pour sa cinquième saison et cette complicité vieille de plusieurs années (La production de Lohengrin remonte à 2010) se lit dans les trois extraits de Lohengrin donnés en complément. En passant du père au fils, nous lisons la même retenue et la même poésie. Le prélude du 3ème acte, fait briller l’orchestre d’une manière vraiment éclatante, même si l’extrait suivant, pris dans la scène avec Elsa, produit la même frustration que pour Parsifal, à savoir un sentiment d’attente, de privation, et même si Höchtes Vertrau’n hast du mir schon zu danken était plein de passion retenue et de délicatesse, il manquait Elsa, il manquait le théâtre, et pour tout dire il manquait de la tension. Mais dans le récit du Graal, tronqué, (on aurait pu penser qu’en concert on eût pu enfin avoir la version complète…), sans doute la pièce la plus adaptée à un récital, Vogt a montré son incomparable maîtrise, à la fois douceur, mélancolie, tristesse, regrets, mille couleurs donnaient à ce récit final de la première partie le parfum de l’exception. On retrouvait là le Vogt tant applaudi à Bayreuth on retrouvait l’intelligence du phrasé, l’impression d’une totale absence d’effort et la fluidité du discours, on retrouvait le personnage, accompagné par un orchestre d’une clarté lumineuse et profondément engagé . Evidemment miraculeux.
En seconde partie, le 7ème de Beethoven, qui a été part de la première intégrale Beethoven de Nelsons, la saison dernière à Birmingham, et est redonnée ces jours-ci à Bonn (lieu évidemment idoine puisque Beethoven y est né) .
La septième est pour moi liée à une exécution de Claudio Abbado le 15 avril 2002 au Festival de Pâques de Salzbourg avec les berlinois: personne, même Pollini – il nous l’a confié après le concert – n’en est revenu, et tant de spectateurs en avaient les larmes aux yeux. Jamais plus, même avec Berlin, je n’ai retrouvé cela : une danse dionysiaque étourdissante et d’une incroyable dynamique. Il ne me viendrait pas à l’idée de comparer quoi que ce soit, mais c’est simplement pour signaler que dans la septième j’ai deux références évidentes en soi : Carlos Kleiber et Claudio Abbado.
Andris Nelsons le 31 août 2014 © Priska Ketterer/Lucerne Festival
Sans atteindre ces sommets, j’ai vraiment beaucoup aimé le travail de Nelsons et de l’orchestre dans cette symphonie, que Nelsons interprète à mi-chemin entre l’option solennelle et visionnaire de Furtwängler (Berlin 1943, une interprétation prophétique et terrible de l’allegretto, presque une marche funèbre) et cette course dionysiaque dont je parlais plus haut chez Abbado. Il travaille sur les contrastes, sur le contrepoint, sur une vision romantique jamais tonitruante, jamais dans la démonstration (alors que c’est si facile dans la 7ème). Certes, le rythme est rapide, mais, notamment dans le premier mouvement, très contrasté, avec des moments très allégés aux cordes, mais des interventions vigoureuses des cuivres et des bois. Un rythme rapide, mais des ralentissements et surtout une grande respiration musicale, sans vraiment la tension qui raidirait le mouvement général: il y a là une souplesse, une rondeur assez nouvelles dans la manière de Nelsons.
L’allegretto (2ème mouvement) est peut être le moment le plus intense, c’est aussi mon préféré. Il n’est pas sombre comme Furtwängler, il est, disons, tendu avec une très grande participation des pupitres et notamment des chefs de pupitres (la flûte est magnifique). Il y a certes de la souplesse, mais une très grande attention à l’alternance rythmique, notamment au début, presque métronomique, qui crée la tension par sa répétition obsessionnelle. La fin du 2ème mouvement, plus alerte, est éblouissante par l’engagement des musiciens et la qualité de toutes leurs interventions.
Plus d’exubérance dans le scherzo, mais qui reste contrôlée : c’est bien là la nouveauté chez Nelsons, ce contrôle fort sur les rythmes et les volumes, que je n’avais pas noté dans d’autres exécutions : le trio est pris de manière un peu plus lente, mais presque plus héroïque en même temps, avec des cordes stupéfiantes.
Enfin, c’est au quatrième mouvement que Nelsons entraîne l’orchestre de manière vertigineuse, il est suivi par les cordes, très concentrées, qui n’ont jamais failli. On n’atteindra pas la folie abbadienne, mais néanmoins l’orchestre est poussé de plus en plus vers une sorte de course à l’abîme et tout tient merveilleusement notamment à la coda finale. Le public explose à la fin, et c’est amplement mérité.
Ce cycle Beethoven devrait sortir chez Orfeo, il sera intéressant de confronter la vision de Nelsons à d’autres déjà consacrées : il y a là une prise de risque, une vraie personnalité qui mérite qu’on s’y arrête. Au total, et de manière inattendue, c’est Beethoven qui m’a saisi et Wagner qui m’a (un peu) lâché.
Andris Nelsons et le CBSO le 31 août 2014 © Priska Ketterer/Lucerne Festival