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Visite à un fils naturel

Publié le 06 septembre 2014 par Dubruel

d'après L’ABANDONNÉ (de Maupassant)

Mme Jeanne Lauduique se tournant

Vers son ancien amant

Pierre de Goldoni, lui dit :

-« Venez avec moi, mon ami. »

-« Où vous irez,

Ma chère Jeanne, j’irai.

Mais, là, vous êtes folle. Songez

À ce que vous risquez

Si cet homme… »

-« Oh ! Pierre ne dites pas : ’’cet homme’’

En parlant de lui. » -« Réfléchissez.

-« Vous ne l’avez pas vu depuis vingt-six ans

S’il nous soupçonnait :

Il vous tient.

Il nous tient. »

Sur le chemin, ils avançaient lentement.

-« Pierre, l’avez revu ? »

-« Non, chérie, je ne l’ai jamais revu ! »

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Jeanne avait été mariée

Contre son gré

À Thomas Lauduique, un chasseur d’éléphant.

Mais voilà que pendant

Une absence de Lauduique

Parti chasser en Afrique,

Un jeune banquier fringant,

Pierre de Goldoni, marié lui aussi

Aima Jeanne à la folie.

Elle l’aima

Et succomba.

Aurait-elle pu résister ?

Se refuser ?

Que d’heureux jours !

Ses seuls beaux jours.

Elle attendit un enfant de Goldoni.

Ah, ses journées d’attente !

Ses souffrances lancinantes !

Et l’effroyable nuit. Oh ! Quelle nuit !

Puis quel bonheur en entendant

Son bébé gazouiller, bien vivant !

Mais ce fut la seule fois de sa vie

Où elle put voir et embrasser son fils.

On lui avait pris son bébé.

On l’avait emporté et caché.

Elle savait seulement

Qu’il avait été élevé

Par des fermiers normands,

Qu’il était devenu lui-même paysan

Sous le nom de Robin, qu’il était marié

Et qu’il était doté par Goldoni.

Que de fois lui avait-elle dit :

’’ Je veux le voir. Laissez-moi partir. ’’

L’amant s’y était toujours opposé :

’’ Vous ne sauriez vous contenir.

Robin devinerait et vous exploiterait. »

Mais Jeanne songeait : ’’ Je n’ai pas d’autre enfant.

Comment ai-je pu attendre si longtemps

Pour le revoir ? J’ai pensé à lui

Toute ma vie.

Je ne me suis jamais réveillée

Sans que ma première pensée

Ne fût pour lui. J’aurais dû tout quitter,

L’élever et l’aimer.

Comme j’ai souffert !

Comme il a dû haïr sa mère !’’

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Au bout du chemin,

Ils entrèrent chez Jean Robin.

Une petite fille parut,

Mal vêtue :

-« Qué qu’vous faites là ? »

-« Ton père est-il là ? »

Arriva un homme brun

-« Vous êtes bien Monsieur Robin …? »

Méfiant, il demanda :

-« Qué qui vous a dit mon nom ? »

-« En bas du val, le forgeron. »

Subitement, Jeanne décida :

-« Partons, allons-nous-en, Pierre. »

Et dès qu’ils eurent franchi la barrière,

Elle se mit à sangloter :

-« Oh ! Voilà ce que vous en avez fait ?... »

-« J’ai fait ce que j’ai pu.

Sa ferme m’a couté cent mille francs.

C’est une dot que n’ont pas tous les enfants

Même ceux de la bourgeoisie la plus cossue. »


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