d'après Maupassant
La vraie peur a disparu d’ici-bas.
On a peur véritablement
De ce qu’on ne connait pas.
Comme le monde devait être troublant
Autrefois, quand il était si mystérieux !
En supprimant l’invisible,
La science a reculé
Les limites du merveilleux.
Elle a dépeuplé
L’imagination.
Les dangers visibles
Peuvent émouvoir, troubler,
Mais comment imaginer la convulsion
De nos ancêtres quand ils croisaient
Un spectre errant,
Un animal effrayant,
Ou de fantasques elfes ?
Voici ce que m’a conté Tourgueneff :
Un jour, jeune homme, il chassait en Russie.
En fin d’après-midi,
Il arriva au bord d’une rivière
Profonde et claire.
Il s’est élancé dans le courant
Et se laissait flotter doucement
Quand une main se posa
Sur son bras.
Il se retourna et aperçut,
Comme surgissant du fond,
Une bête –un être ?- nue
Ressemblant à une guenon.
Sa figure plissée
Grimaçait.
Elle était entourée
De cheveux blancs, mêlés, démesurés.
Deux énormes mamelles
Flottaient devant elle.
T. se mit à nager éperdument
Mais le monstre le rattrapa en ricanant.
Il lui touchait les jambes, le dos, le cou.
T. sortit de l’eau
Comme fou.
Il ne prit le temps
Ni de ramasser ses vêtements
Ni de reprendre son fusil.
Et il s’élança à travers bois.
L’être effroyable suivit
Le fuyard aux abois.
Perclus par la terreur,
T. allait tomber, quand un bûcheron,
S’étant muni d’un bâton,
Frappa le monstre qui se sauva
En débitant jurons et cris de douleur.
Ce monstre était une folle qui vivait là
De la charité des gens
Depuis trente ans.