Canapé rouge, chaises de bistrot, tapas sur nos deux tables, la bande de copines reprend ses bonnes habitudes, les jeudis soirs, une pause entre femmes. Nos hommes, nos maris, nos compagnons, nos amants, tous, restent loin de cette réunion, se chargeant des enfants, parfois des bébés ou organisant d'autres soirées devant une télé, un match de foot ou de playstation.
Ici, c'est notre bulle, un café qui nous réserve notre coin, note nos envies, prépare des plateaux dégustations suivant les saisons, entre vins et fromages, le plus souvent , mais aussi salades et petites brochettes, ou des soupes quand les jours deviennent plus froids. Parfois même ils nous prêtent des petits plaids pour que nous puissions nous sentir chez nous, entre les chaises annexées et le canapé devenu lieu pour refaire le monde. Une source sans fin de mots, d'éclats de rires, d'échanges, de rencontres car de nouvelles amies s'ajoutent aussi, un noyau ne vit qu'avec de nouveaux électrons entrants et sortants.
Cool ce soir, un début d'automne avancé, un soir calme mais une arrivée sous la pluie, sous un parapluie depuis le métro, une rentrée de septembre maussade, mais l'été a été si triste, si peu lumineux. Chacune s'accorde dans ce sens, malgré des vacances aux quatre coins de la France, de l'Europe et parfois des voyages plus lointains. Il a fait moche, gris surtout avec trop de nuages et d'incertitude, même du froid, des soirées en pull et collants début août. Alors nous parlons de soupes, de crèmes solaires, de tout et de rien, sautant de sujet en sujet comme pour balayer nos sacs de plage, nos lectures, nos petits plats et nos vies amoureuses avec un regard léger. Entre deux propos, une dérive vers la chirurgie esthétique, dix pages dans le dernier numéro du magazine féminin, que nous avons toutes lu, avec un oeil distrait on non, dans le vent, sous le soleil, ou dans une véranda.
Les avis divergent, les "pour" et les "contres", chacune expose un exemple, une copine, une collègue avec des lèvres trop grosses, voire déformées, un nez refait. On argumente, on défend le point de vue de celle qui en a besoin, de celle qui en ressent le besoin, du jsutifiable et de l'intolérable, du rêve et du fantasme. Quelques coups de griffes vers les hommes, leurs demandes, leurs envies, nos corps au final, on relativise la réalité et plus encore on revient vers nous, avec le finalement "pas pour moi". Chacune rigole des possibles transformations réelles ou aberrantes qu'elle s'appliquerait. On se resserre de ce beau vin de loire, frais et plein de saveurs presques sucrées malgré le fait qu'il soit rouge. L'ambiance est délicieuse, comme une famille, avec un sentiment si fort d'amitié, de complicité. Certes parfois, quand l'une a une souci, prof ou familial, on la sort, on en parle, on mange, on parle, on oublie, on conseille, on vit, mais ce soir la chaleur du soleil est dans nos rires, nos visages rayonnants de joie.
Plus tard en sortant, rentrant à pied, seule vers mon petit studio, vers mon petit ami sûrement endormi, je pense à mes seins, oui, ce bonnet C là que tout le monde, que toutes celles connaissent, parfois prennent en référence quand on parle lingerie, ou petits hauts moulants. Personne ne m'a connue avant, avec ces petites collines plates héritées de mon enfance, stagnant dans leur verticalité et oubliant les trois dimensions. Un jour, j'avais pris le temps de réfléchir, j'ai opté pour une augmentation mammaire, une opération douloureuse, mais une fierté de femme ensuite. Peu le savent, peu des gens avec qui je sors maintenant, m'ont connu avant. Ce n'était pas une facétie de bimbo, moins encore un besoin de sexy attitude, mais juste un manque. Cela a complété ma féminité. De tout cela, je n'ai rien dit ce soir, laissant leurs paroles analyser, juger, anticiper sur les émotions, leurs émotions, leurs ressentis.
Ce fût un choix, c'est un plaisir quotidien, mon bonheur. Là sous une pluie soudaine, je ris, seule dans la rue, fiere de mes seins.
Nylonement