La claque mise aux festivaliers cannois en mai dernier, c’est Xavier Dolan, 25 ans et déjà cinq films à son actif, qui nous la donnait. Elle fait mal, laissant les joues rouges et les yeux embués, de par son style, transcendé par la puissance de l’image, du son, et du scénario. Autant dire que si la baffe est douloureuse, elle revigore également, et ne manque pas d’un certain humour jubilatoire.
« Mommy », ou plutôt Diane Després (son vrai nom), c’est Anne Dorval, une veuve qui "hérite"de la garde de son fils, Steve, impulsif, violent, mais au fond attendrissant dans ses désordres et ses fêlures. Entre Diane et Steve, il y a des hauts, des bas … surtout des bas. Les tensions grandissent, à coup de noms d’oiseaux (les dialogues acides et incorrects sont parfois hilarants) ou à coups de poing (le fils manifeste souvent une violence incontrôlée) jusqu’à ce que Kyla, voisine des Després, fasse irruption dans leur vie. Une présence qui, contre toute attente, va rétablir l’équilibre et garantir l’harmonie au coeur du foyer dysfonctionnel.
On a déjà vu Anne Dorval dans les films de Dolan (J’ai tué ma mère, Les amours imaginaires et même Laurence Anyways). Mais dans Mommy, l’actrice québécoise explose tout. Excentrique, un peu folle, sans manières, Diane est en même temps vêtue de fragilité. En l’incarnant, Anne Dorval a su mettre cette facette en valeur et en faire la force de son personnage, qui, à son tour, devient attachant. Mais c’est aussi le jeune Antoine-Olivier Pilon, comédien que tout le monde s’arrachera probablement d’ici peu, qui crève l’écran. On l’avait déjà aperçu dans le clip polémique College Boy, du groupe Indochine, dont Xavier Dolan avait déjà assuré la brillante réalisation. Cette fois, c’est son premier rôle dans un long-métrage, et on mise fort sur le fait que l’acteur ne tarde pas à percer, la sélection cannoise du mois de mai dernier ne pouvant que lui servir d’ascenseur.
Outre des acteurs exceptionnels, la mise en scène de Xavier Dolan atteint ici une maturité impressionnante. Le jeune cinéaste persiste a vouloir coupler l’image et la bande-son pour donner un corps sensoriel au script. Ce qui pouvait gêner autrefois, dans ses films que l’on pourra désormais qualifier de jeunesse, devient ici un atout évident, et propulse le résultat très loin dans les émotions.
Film d’esthète, Mommy accorde forcément une place primordiale aux dispositifs artistiques, notamment la photographie, toujours aussi maîtrisée et signifiante chez son auteur. Dolan écrit avec la lumière, et plus que jamais expérimente son style, là où on pouvait le trouver un peu piocheur de bonnes idées dans ses précédents longs, tous soignés, mais assurément sous influences extérieures. Ici, la mise en scène innovante du jeune Canadien retrouve un souffle nouveau, qui vivifie et revigore. Il persiste avec le ratio 1,33:1, toujours pour emprisonner ses personnages dans un format qui le fascine et qu’il utilise depuis Laurence Anyways. Ce manque d’espace à l’écran étouffe et suscite le malaise dans une famille exsangue, où la liberté n’est plus, probablement depuis la mort du père, qui a brisé l’équilibre entre la mère et son fils.
Mais nous n’en dirons pas mot de plus, les trouvailles de mise en scène demeurant la clé de voûte d’une oeuvre plébiscité à Cannes, qui aborde parallèlement et sans tabous d’autres sujets chers au cinéaste, comme la lutte contre les discriminations et le malaise adolescent.
Les portes sont donc grandes ouvertes pour Xavier Dolan, qui dépasse (parfois de loin) les grands noms du cinéma d’auteur présents en compétition pendant le dernier Festival. On le voyait déjà décrocher la sacrosainte Palme d’or.