14 h 15. L’après-midi se prolonge. Une langueur vous envahit. Pourquoi ? Repas du midi à la frugalité abusive ? Ben voyons ! Vous avez mangé une salade !… Un avant-midi d’enfer ? Elle a été la plus relax depuis des mois… Manque de sommeil ? Vous avez dormi 10 heures la nuit dernière. Onze, la nuit d’avant. Alors… ?
Vous avez pourtant l’envie de dormir, de déposer votre tête sur le bureau, de fermer les yeux, pour un bref roupillon.
Non. Non. Vous résistez. Vous n’êtes pas paresseux à ce point tout de même. Mais la tentation est si forte !
Allez. Laissez vous aller !!
Dans certaines régions, la sieste est un mode de vie. « En Provence, le soleil se lève deux fois, le matin et après la sieste », écrivait Yvan Audouard, journaliste et écrivain français. Paris possède maintenant son bar à sieste. Au Québec, la sieste traîne un petit côté tabou, évoque la paresse. Pourtant la science en vante les bienfaits. Elle libère l’esprit du stress, remet à neuf le cerveau, ragaillardit la mémoire, l’assimilation des nouvelles données, la créativité. Les plus grands génies l’adoptaient : Isaac Newton, Archimède, Victor Hugo, André Gide, Salvador Dali, Van Gogh… Léonard de Vinci dormait un quart d’heure toutes les deux heures.
Alors… pourquoi se gêner ?
Les cycles du cerveau se renouvèlent aux 90 à 120 minutes. Le sommeil n’y échappe pas. Ses phases en font foi. La sieste, du latin sexta, ou sixième heure du jour, prise après le repas du midi, est programmée par la génétique, de là la tendance à s’endormir entre 14 et 15 heures. Ces prochains jours, portez attention. À cette heure, votre attention s’atténuera, vos paupières cligneront, votre tête chancellera. Vous cognerez peut-être des clous, oublierez la dernière page de votre lecture… Contrairement au sommeil du soir, bien qu’elle aussi soit liée au cycle circadien, la sieste n’est associée à aucun changement physiologique particulier, par exemple, la baisse de température du corps. Bien sûr, vous l’avez expérimenté, un repas trop riche, un effort physique préalable et la chaleur accentueront ce besoin de repos. Certains biologistes croient que cette hypovigilance est le dernier survivant du sommeil polyphasique du nourrisson. Bébé, vous dormiez par épisodes. Les années ont passé, les périodes de sommeil diurne se sont espacées, celle de l’après-midi s’est perpétuée, vous hante encore. Selon le docteur Michel Tiberge, spécialiste du sommeil de Toulouse, « l’être humain possède des portes du sommeil de une à deux minutes toutes les une heure et demie à deux heures. C’est ce rythme archaïque qui remonte à nos origines. » Pour ne pas s’exposer à ses prédateurs, l’homme préhistorique dormait peu, mais souvent. Dans les courses en solitaire, les navigateurs font de même.Pendant la sieste, dormir n’est pas essentiel. Pour se régénérer, s’allonger, dans l’herbe ou dans son lit, poser la tête sur son bureau suffira. L’idée, c’est la pause, le repos pendant une vingtaine de minutes vers 14 et 15 heures. Au-delà, on entame un cycle de 90 minutes, mettant en péril l’endormissement du soir, et engourdissant notre réveil. La sieste du soir est proscrite. Elle tue le sommeil nocturne. Pour plusieurs, la sieste est un rituel. Au moment idéal, 12 heures après le milieu de leur sommeil nocturne, à leur choix, ils ferment la porte, font des étirements, mettent de la musique, éteignent la lumière, desserrent le col, la jupe ou le pantalon, s’étendent, attrapent un nounours, un oreiller, un coussin, le placent sous leur tête, chaque petit geste, avec le temps, appâtant le sommeil.
Vous ne voulez pas dormir trop longtemps ? Un réveille-matin est utile, mais il y a plus simple. Placez une clé entre votre index et votre pouce, et une assiette sur le sol. Quand le sommeil se présentera, s’approfondira, la clé tombera sur l’assiette, le bruit vous réveillera. La sieste sera finie. Salvador Dali appelait « sommeil avec clé » cette méthode. Selon lui, « vous n’avez pas besoin d’une seconde de plus pour qu’être physique et psychique tout entier soit reposé ».
Par ailleurs, le goût pour cette parenthèse quotidienne serait un signe de maturité. Enfant, on nous l’impose.
L’adolescent ne se couche plus, dort le jour. L’adulte est friand d’une douce sieste. Moi, le premier. Quand je le peux. Voilà le hic !En effet, il y a le travail, cette affectation universelle. S’échiner, produire, produire, produire. Certains employeurs clairvoyants mettent à la disposition de leurs employés une salle paisible, à la lumière tamisée, meublée de fauteuils moelleux, accueillants… Ces trop rares employeurs reconnaissent les vertus de la sieste sur l’être humain, et les gains potentiels en productivité.
Hélas ! Je n’ai pas cette chance. Quelqu’un parlerait-il à ma directrice ?
© Jean-Marc Ouellet 2014