Le Moulin sur la Floss de George Eliot

Par Sylvie

ROYAUME-UNI ; 1860


Editions Folio Classique

Et voici un autre classique anglais d'une grande écrivaine anglaise sans doute moins célèbre que les soeurs Brönté ou encore Jane Austen mais qui n'en gagne pas moins à être connue. Comme son acolyte française George Sand, Mary Ann Evans prit un nom masculin pour publier. Elle est considérée aujourd'hui comme un grand écrivain victorien qui décrit les transformations de l'Angleterre lors de la Révolution Industrielle et aussi la condition féminine prise dans les filets du désir et du devoir moral.

Pour découvrir l'itinéraire de cet auteur de premier plan, voici sa biographie : http://fr.wikipedia.org/wiki/George_Eliot

Cet opus, le 2e de son auteur, est un magnifique portrait de famille et de femme dans l'Angleterre rurale du XIXe siècle. George Eliot s'est beaucoup inspirée de sa propre famille : père aimant régisseur d'une propriété, son frère ainé adoré, et sa propre personnalité, enfant et adolescente hypersensible, assoiffée de culture et à la recherche de ses idéaux...

Nous sommes dans un village où se rencontrent une rivière et la mer "une vaste plaine ou la Floss, plus large, se hâte entre ses vertes rives d'aller vers la mer, tandis que la marée amoureuse se précipite à sa rencontre et l'arrête en une étreinte fougueuse"Une vieille dame nous décrit le village, où deux petits enfants jouent,  avant de se réveiller "Ah, mes bras sont engourdis; Mes coudes étaient appuyés sur les bras de mon fauteuil, et je rêvais que je me trouvais sur ce pont, face au Moulin de Dorlcote, tel qu'il était un certain après-midi de février, il y a bien des années. avant de m'assoupir, j'allais vous raconter ce dont parlaient M. et Mme Tulliver, assis près de ce beau feu dans le salon à gauche, ce même après-midi dont j'ai rêvé." Et nous voici partis pour 700 pages relatant l'histoire des 2 enfants Tulliver, Maggie et Tom, sur une vingtaine d'années. 

Monsieur Tulliver est meunier de son état. Très attaché à son Moulin de Dorlcote, il est en procès avec un autre propriétaire qui veut installer un système moderne d'irrigation. Soucieux de donner une bonne éducation à son fils Tom, il l'envoie chez un précepteur lui enseignant le latin et la géométrie. Esprit lent, Tom a bien du mal à se faire à cet "endoctrinement". Au contraire, Maggie, sa petite soeur qui l'idôlatre, adore se cultiver lire et découvrir de nouvelles choses. D'une sensibilité à fleur de peau, impulsive, elle n'arrête pas d'être répriandée par son frère ainé, épris du sens de l'honneur et du devoir. Ensemble, il vont faire la connaissance de Philipp, fils du précepteur, enfant disgracié par la nature, bossu, mais comme Maggie, intelligent et sensible.

Mais comme le dit Eliot, "Les portes d'or de leur enfance" vont être bientôt refermées car le père Tulliver va faire faillite. Tom va alors découvrir que son éducation classique ne va lui être d'aucune utilité et Maggie va être mise en face du dilemne traditionnel entre l'amour et le devoir familial.

Ce magnifique roman est digne d'une tragédie classique. On pense aux grandes figures littéraires du renoncement amoureux (Bérénice, Phèdre, La princesse de Clèves) sans oublier le drame shakespearien où Roméo et Juliette sacrifient l'amour au nom de l'exigence familiale.

Le "couple" central, Tom et Maggie, est décrit au milieu de l'étau de leur famille, père, mère, oncles et tantes. Cette constellation familiale est l'occasion pour Eliot de déployer son immense talent dans le registre du roman psychologique. Chaque personnage est scruté dans ses exigences, ses faiblesses, ses contradictions. Le Père Tulliver, homme de l'Ancien Monde, meunier en faillitte pour avoir voulu préserver sa propriété alors que les autres hommes du village sont uniquement préoccupés par les revenus capitalistes. Tom n'aura de cesse de défendre l'honneur perdu de son père alors qu'il est promis à un brillant avenir. La mère Tulliver, matérialiste,  préoccupée par son linge de table et son service à thé lors de la vente aux enchères de ses biens mais qui finalement protégera sa fille déchue. Les oncles et tantes maternels, toutes une série de portraits tragicomiques (ah, les discussions entres les soeurs sur l'éducation de Maggie et les possessions des unes et des autres, se disputant leurs nappes, tasses et chapeaux ! Et oui, on rit aussi dans Le Moulin sur la Floss).

Tom L'intransigeant, la passionnée Maggie...et mention spéciale à Philipp, le bossu disgracieux, l'amoureux éconduit, prêt à vivre son amour sans sa bien aimée...

Il s'agit bien d'un roman d'apprentissage tragique où les désirs de la jeune garde vont se trouver en contradictions avec les conflits des parents.

Bien sûr, ce sera la jeune fille qui sera sacrifiée sur l'hôtel de l'honneur ; victime de sa trop grande sensibilité mais soucieuse avant tout de l'estime de son père et de son frère, Maggie est la figure exemplaire du renoncement.

Roman social, roman d'apprentissage, d'éducation....c'est aussi le roman du souvenir de l'enfance perdue, des lieux aimés. Ce n'est pas par hasard si Le Moulin sur La Floss était l'un des livres préférés de Marcel Proust. Un branche de sureau, tout comme la célèbre madeleine, fait revivre les jours heureux. Les personnages sont attachés au territoire de leur enfance et Tom et Maggie reviendront toujours au Moulin, malgré leurs itinéraires contrariés. Le Moulin n'est pas uniquement un lieu. Il symbolise le lien de la famille et l'enfance heureuse.

Enfin, mention spéciale à la prose fluide de l'auteur, alliant lyrisme retenu et finesse psychologique tout en laissant une large place aux dialogues. Du grand art !