Paul Hess
Dimanche - Après avoir travaillé dans nos bureaux une partie de la matinée, je vais, dès que je puis me rendre libre, à la mairie pour délivrer des laissez-passer.
Dans la cour de l'hôtel de ville, plus de cent personnes attendent, à l'angle de droite, leur tour pour pénétrer dans le couloir, côté rue de Mars, et monter au premier étage où se trouve installé le personnel chargé du service. Quelques hommes de la police ont été commandés pour empêcher les bousculades et maintenir l'ordre, car tous ceux qui posent là, avec impatience, sont pressés de partir et le plus tôt possible ; un vent de panique souffle de plus en plus sur Reims.
Afin de me frayer un passage, je suis obligé de mettre le brassard n° 63 qui m'a été délivré par le commissariat central, lors de mon inscription comme volontaire et je vais m'asseoir à la table où j'ai l'habitude de travailler. Les collègues, surmenés, me voient arriver avec satisfaction et jusqu'à midi, nous n'avons pas une minute de répit.
L'après-midi, l'affluence est la même aux "laissez-passer", de 14 h à 18 h Journée très fatigante.
Les dépêches disent que rien n'est décisif, dans les Ardennes.
- Une affiche signée du Maire et datée du 29 août 1914, est apposée en ville en voici le texte :
"République française
Ville de Reims
Le maire prescrit aux particuliers qui possèdent des fusils de chasse, revolvers et armes autres que celles de guerre, de les déposer immédiatement au Dépôt central des pompes, rue Tronsson-Ducoudray, de 8 h à midi et de 2 à 6 heures.
Avant de remettre ces armes, les propriétaires devront les décharger s'il y a lieu, et coller sur chaque objet une étiquette indiquant leur nom et leur domicile.
Le maire de Reims prie ses concitoyens de ne pas s'alarmer de cette précaution nécessaire, qui a d'ailleurs été demandée par un certain nombre d'habitants.
Reims, le 29 août 1914, Le maire, Dr Langlet"
Afin de me conformer à cette prescription, je fais un paquet de sept ou huit vieux sabres que je destinais vaguement à une panoplie, avec l'intention de les envoyer rue Trosson-Ducoudray. Quant aux revolvers que j'ai enterrés avant-hier, je les trouve mieux à leur place qu'au dépôt des pompes.
- Un bijoutier du voisinage, ayant appris que nous sommes décidés à rester à Reims, est venu me demander, ce matin à 9 h avant de partir aussitôt pour la Creuse avec toute sa famille, de lui rendre le service de garder à mon domicile trois caisses volumineuses qu'il ne pouvait enlever, dont deux sont remplies de pièces d'orfèvrerie en argent. J'ai accepté ce dépôt de valeur sans empressement et, le soir, je descends ces caisses en seconde cave, avec l'aide des enfants.
Paul Hess dans La vie à Reims pendant la guerre de 1914-1918
Le Maire, le docteur Langlet
Attigny, dimanche 30 août 1914
Au jour, nous nous dirigeons sur Reims, en suivant l'armée française. Nous traversons un barrage d'artillerie, nous trouvons des convois qui se replient plus loin, massés dans un pré, 15 ou 20 aéroplanes, enfin le village de Machaux. Nous venons de faire plus de 100 Km et comme nous n'avons pas dormi, nous sommes fourbus. A force de recherches, nous trouvons à acheter de la bière, des biscuits (à champagne) et des sardines. Ces aliments sont engloutis comme une lettre à la poste.
Nous gagnons Beine où nous sommes à midi. Couchés sur le bitume de la gare, nous nous reposons jusqu'à 14 heures. A cette heure, nous partons pour Reims (en chemin de fer) où nous arrivons à 15 heures. Dans le trajet, nous constatons que les forts qui entourent la ville sont occupés par nos troupes; que d'importants travaux de défense ont été faits, que des canons de siège ont été hissés sur les collines avoisinantes. Nous en concluons que Reims sera défendu et que peut-être une grande bataille s'engagera incessamment dans la plaine.
Marcel Marenco dans son journal