Le dernier opus de Michel Gondry « Conversation animée avec Noam Chomsky » (2013) en français, s’inscrit directement dans le renouveau de ce genre documentaire. On oscille entre vrai et faux, lard et cochon ou comme ici, entre animation et réalité. Cela m’a gênée au début comme toutes les nouveautés en général puis on s’y fait. Le film vient de sortir à Hong Kong.
Bref Michel Gondry décide de faire une sorte de film qui nous montre à quel point on peut manipuler le réel, c’est assez intéressant le tout en 16 mm. L’idée originale est relativement réussie d’un point de vue esthétique, elle suit l’idée de son long métrage : « La Science des Rêves » (The Science of Sleep, 2005) avec le couple Charlotte Gainsbourg-Gael García Bernal, où le réalisateur mêlait déjà dessins et images filmées (*). Ce documentaire est tiré d’une série d’entretiens faits avec le grand linguiste-philosophe Noam Chomsky.
Gondry nous offre donc une interview-docu-animée-film, innovante certes, mais fallait-il s’en prendre à la patience de monsieur Chomsky et à celle des spectateurs ? Pourquoi ce réalisateur décide-t-il dès la cinquième seconde du film de nous casser les oreilles ? On ne s’en doute pas pourtant en voyant la bande annonce .
La prononciation du réalisateur est tellement médiocre et forcée qu’on décrypterait mieux ma concierge espagnole si elle se mettait au chinois. On dirait du franglais et cela nous fait complètement oublier la valeur du film et des propos. Quand le tandem De Caunes/Gautier s’essayait au genre dans « Eurotrash » , avec leur accent à couper à la machette, c’était pour rire. For fun ! Et seulement durant un temps relativement court pour qu’aucun téléspectateur n’ait la subite envie de tirer dans le tube cathodique. Gondry sonne larsen pendant 1h30. Heureusement il y a Chomsky…
Le film doit son titre à une simple question : « is the man who is tall happy ? », convertie à partir d’une phrase: « the man who is tall is happy ». Rien n’est simple avec Noam Chomsky et la moindre virgule lui donne une base de réflexion.
Cette phrase formulée par un enfant sans même y penser, a fait réfléchir le linguiste, qui d’ailleurs ne fait que ça : comment un enfant peut formuler une question aussi complexe, correctement et sans connaitre la grammaire ? Comment son esprit d’enfant choisit-il de restructurer la phrase en inversant le verbe et le sujet, laissant le « is » correctement placé? La grammaire générative naissait. Ce que maladroitement j’essaye de faire comprendre là et qui vous endort déjà, prend une simple et passionnante tournure lorsque Chomsky l’explique. Il a réussi à transmettre son érudition, à la radio, et dans d’autres documentaires. C’est un homme de terrain dont le fer de lance est de mettre à la portée de tous, la connaissance.
Cette interview a le mérite de nous éviter les grands concepts et nous montre avant tout un homme d’une culture générale extraordinaire. On comprend la dimension intellectuelle du personnage, pas du genre BHL. Linguiste et auteur d’une centaine d’ouvrages, à 84 ans, Chomsky a d’abord toute sa tête. Qui parmi nous peut prétendre que ça lui arrivera ? L’homme est âgé mais reste vif d’esprit même s’il a une certaine tendance à la récurrence. À 84 ans, il participe encore activement à des conférences, à des colloques, des séminaires (il n’y a qu’à voir son blog et son FB). Il est d’une totale dévotion aux autres, à tous les autres, Michel Gondry inclus. C’est peu dire. Ce film déroutant oscille entre le passionnant et le ridicule. Passionnant parce que Chomsky l’est, ridicule parce que Gondry que je tenais pour une personne sensée l’est.
Ce documentaire commençait bien avec les questions biographiques. Ainsi on découvre le milieu familial, son éducation juive traditionnelle et conservatrice, le quartier de son enfance, il raconte sa peur des voisins antisémites, rappelons qu’il est né en 1928. Et puis ses souvenirs d’école et ses premiers rapports à la science. Chomsky, confie la fois où il a triché à l’école. Et oui ! Lui aussi. On découvre l’influence de sa vie de professeur sur l’éducation de ses enfants. Et cela peut inspirer certains parents… Mais on omet ses engagements politiques et idéologiques.
Soudain Michel Gondry se lâche et devient le centre du film. Il fait alors un film sur lui faisant un film sur Chomsky. Tout à coup Gondry qui s’y connaît en linguistique et philosophie comme moi en culture de rhododendrons, se met à poser des questions moyennement théoriques à cet homme qui a réponse à tout et dont les réponses sont détaillées et passionnantes. Le cinéaste n’a pas préparé ses questions. C’est, me semble-t-il le B.A Ba de l’interview. Chomsky, linguiste émérite ne pige rien de rien : ni au but de la question, ni à l’accent à trancher à la tronçonneuse, ni même à la médiocre cohérence grammaticale des questions. Sa courtoisie l’empêche de dire combien ce charabia lui fait perdre de temps. Heureusement que Gondry producteur n’a pas fait le même coup à Tom Cruise, ça lui aurait coûté une fortune.
À cela on ajoute les failles langagières. Elles s’ouvrent sur des quiproquos à deux balles qui n’amusent que Gondry. « I am stupid », « I am ignorant », etc. Ces oups: I did it again ! font tout de même sourire le public. Dès lors, Le réalisateur tourne le film sur lui : Gondry animateur, Gondry ignorant des philosophes, Gondry qui vient de lire Pascal (la belle affaire !), Gondry qui s’excuse, Gondry dessinateur débordé qui « felt a little bit stupid » (il serait temps) etc. Dommage, ce foutage de gueule avait tout pour être superbe: idées et sujet. On aurait aimé savoir ce qui a incité ce jeune homme élevé dans la pure tradition juive à s’engager politiquement et défendre le droit des Palestiniens ou de l’anarchie par exemple. Gondry passe à côté d’une occasion unique. Et puis engage un interprète, t’as les moyens Gondry ! Bref à voir sans le son ou en hébreux. Qui sait…
http://www.imdb.com/title/tt1817287/
http://www.ifcfilms.com/films/is-the-man-who-is-tall-happy
http://fr.wikipedia.org/wiki/Conversation_animée_avec_Noam_Chomsky
http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=218570.html
Je termine sur une phrase prodigieuse de Noam Chomsky, qui s’étonne de la concurrence dans les écoles et des hommes en général :
“What’s the point in being better than somebody else?”
Bonjour chez vous
Caroline pour la Cinémousson.
|Cette critique de film marque le retour de la Cinémousson, de notre envoyée spéciale à Hong Kong (après la Thaïlande et le Japon). D’autres articles à suivre…?|
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